A qui raconterai-je mes exploits, homme descendant des hommes de l’Aéropostale, affirmant à l’instar d’Henri Guillaumet au pied de la cordillère des Andes qu’aucun animal n’aurait pu les accomplir ? J’aimerais assez me vanter, je décrirais ce torrent impétueux, les planches du pont emportées par le courant, mes efforts harassés pour en remonter le cours, cherchant un passage, jusqu’à atteindre une plaque de neige glacée formant pont sur la ravine, où je me hisse, étendu de tout mon long, glissant déjà, n’ayant que mes ongles, mes orteils ensemellés et mes genoux pour me retenir d’être précipité dix mètres plus bas sur les rochers, apprenant que l’on dérape moins à progresser en oblique plutôt que sur la voie la plus directe, parvenant enfin au bout de la traversée et me laissant tomber à bas du pont de glace sur la rive, tout le corps transi par sa longue reptation, la gorge asséchée, le cœur battant... Je raconterais avec humour comment je m’étais moqué un peu plus tôt de ce type qui portait un piolet attaché à une sangle de son sac, et du souvenir qui m’était revenu d’un reportage télévisé où l’on apprenait à d’aspirants bergers l’art et la manière d’interrompre une glissade sur un névé, souvenir si vague que j’avais oublié l’essentiel, à savoir se placer sur le dos ou sur le ventre ? Modestement je conclurais sur le meilleur choix que j’aurais pu prendre en descendant le long du torrent, comptant sur un amoindrissement de la déclivité et un apaisement du flot afin de traverser à gué, il n’y a pas de quoi être fier, vraiment, et je rirais, pis que fier, faraud.
Mais tout le monde s’en fout de mes histoires de randonnée, comme j’écouterais d’une oreille discrète le récit d’une rencontre amoureuse me laissant étranger, bon à repartir crapahuter dans les montagnes.