mercredi 2 février 2022

Rhizomiques #95

De la tête, on distingue la gorge spacieuse et vibrante, et sur les côtés les yeux globuleux et sans paupières. La gorge est une surface de sac flasque qui s’étend de la pointe du menton, dure et toute écailleuse comme celle d’un caïman, au ventre blanc qui présente lui aussi, là où il presse la vitre, un piquetis granuleux, peut-être adhésif.
Lorsqu’un moucheron passe près de la gueule du gecko, sa langue jaillit et l'engloutit, foudroyante, ductile, préhensible, dénuée de forme propre et capable de prendre toute forme. (…)
La segmentation en anneaux de ses pattes et de sa queue, le piquetis de menues plaques granuleuses sur sa tête et son ventre donnent au gecko l’apparence d’un engin mécanique ; une machine hautement élaborée, étudiée dans chacun de ses microscopiques détails, au point qu’on se prend à se demander si pareille perfection n’est pas du gaspillage, vu les opérations limitées qu’elle accomplit. Ou peut-être est-ce là son secret : satisfait d’être, il réduit son action au minimum ? Est-ce là sa leçon, à l’opposé de la morale que Palomar, dans sa jeunesse, avait voulu faire sienne : toujours chercher à faire quelque chose qui aille un peu au-delà de ses moyens ?
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La baleine à bosse se libère de l’eau, se tord à la verticale, deux nageoires pectorales bleu-gris et un museau souriant. Des balanes et des nœuds de peau galeuse. Elle tourne et elle s’étire comme si elle pouvait continuer à s’élever dans le ciel sans jamais s’arrêter. Mais sous son corps l’eau se change en bruine et son évasion s’achève au moment où elle frappe l’eau en projetant un immense drap d’écume.
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Quand Emily Dickinson écrit : « L’espoir est cette chose avec des ailes qui se perche dans l’âme », elle nous rappelle, comme le font les oiseaux, la force pragmatique et libératoire de la foi.
 
Italo Calvino (in Monsieur Palomar)
& Kawai Strong Washburn (in Au temps des requins et des sauveurs)
& Terry Tempest Williams (in Refuge)