vendredi 4 février 2022

Rhizomiques #96

Mais, d’autre part, si nous ne pouvons, dans l’état actuel de nos connaissances, affirmer que les araignées essaient délibérément de nous dire quelque chose, nous pouvons toutefois sans hésiter penser qu’il y a quelque chose qui vaut d’être entendu.
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     - Tu sais comment j’ai appris à parler avec les fleuves ?
     C’était à l’adolescence, dit-elle. Tous les matins, elle observait une araignée entrer et sortir d’un trou dans la cour de sa maison. Entre ses pattes, l’animal transportait de la rosée au tréfonds de la terre. Elle travaillait comme un mineur à rebours : elle puisait dans le ciel pour accumuler dans le sous-sol. Cette occupation durait depuis si longtemps qu’au fond de son terrier était né un grand lac souterrain.
     Dabondi voulut aider l’animal dans ses excavations humides. Un jour, par une aube sans rosée, elle apporta une coupelle d’eau qu’elle laissa à l’entrée du terrier. Mais l’araignée refusa cette gentillesse, souriant : Ce que je fais n’est pas un travail, ce n’est qu’une conversation. Et elle ajouta : Je vois combien tu souffres, il faut beaucoup de solitude pour remarquer les créatures aussi petites que moi. En signe de gratitude, l’animal lui apprit la langue de l’eau.
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L'eau n'est pas forcément offensive, elle est enfermée. On la dit véhémente et tempétueuse, mais on ne dit jamais la violence des rives, leurs contraintes, l'autorité des canaux, des dérivations, des ponts, des digues, des écluses, des chenaux, des béals.
 
Vinciane Despret (in Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation)
& Mia Couto (in Les sables de l’empereur)
& Emmanuelle Pagano (in Ligne et fils