Si je voulais être une bonne mère (et j’y tiens !), que servirais-je demain matin à mon cher enfant pour son petit-déjeuner ? Je lui donnerais ce qu’il y a de meilleur pour lui : une copieuse assiette d’œufs brouillés et de bacon. Le traditionnel breakfast que les mamans américaines préparent pour leurs rejetons. Hautement recommandé pour leur croissance et leur santé. C’est l’évidence.
Mais traditionnel depuis quand ? depuis des siècles ? depuis toujours ? Non. Depuis qu’un groupe alimentaire, la Beech-Nut Packing Company, s’est retrouvé face à des tonnes de bacon à fourguer et s’est adressé à un homme du nom d’Edward Bernays pour chercher le moyen d’en augmenter les ventes.
Et recommandé par qui ? Par quelques nutritionnistes auprès desquels Bernays a eu l’ingéniosité de réaliser une pseudo-étude, légèrement biaisée, qu’il s’est empressé de faire publier dans les journaux et d’envoyer à des milliers de médecins de famille, dans tout le pays, lesquels ont à leur tour passé le mot à leurs nombreux patients. Ce n’est pas de la publicité, c’est de la science. C’est prouvé et approuvé par des experts. C’est l’autorité qui parle. Et ainsi, en quelques mois, les habitudes alimentaires ont changé.
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En 1929, Bernays fut engagé par l’American Tobacco Company afin de résoudre un de leurs problèmes : cette convention sociale qui empêchait les femmes de fumer faisait perdre aux marchands de tabac un énorme marché potentiel (la moitié de la population). Comment y remédier ? Eddy a eu une idée de génie. Mise en scène : lors de la grande parade de Pâques, à New York, il paie un groupe de suffragettes pour qu’elles cachent un paquet de cigarettes sous leurs jupes et le sortent, toutes ensemble, ostensiblement, au milieu de la foule et au moment opportun. Les photographes, prévenus, seront là pour immortaliser ce geste, ô combien symbolique. Car, attention, ce ne sont pas des cigarettes que ces jeunes femmes enflamment, ce sont les "torches de la liberté" (expression que Bernays leur a dictée au préalable). Dès le lendemain, l’image et le slogan font la une des quotidiens. C’est gagné. Le magicien a transformé une vulgaire opération commerciale en acte de rébellion, en acte de libération féministe. (…)
- Très habile, ce Bernays.
Peu connu du grand public, mais un des hommes les plus puissants du XXème siècle. De ceux qui font bouger les choses, comme tu as pu t’en rendre compte à travers ces deux exemples concrets. On connaît mieux son oncle, Sigmund Freud, dont les travaux sur l’inconscient l’ont fortement inspiré. (…)
Edward Bernays a compris comment mener les foules. Comment les faire aller là où il veut, ou, plus exactement, là où ses clients (ceux qui le rémunèrent grassement à cette fin) le souhaitent. (…) Dans son essai Propagande, il explique les principes et mécanismes qu’il a mis au point et qui permettent, au fond, de tout vendre au plus grand nombre : du parfum, du savon, des cigarettes, des voitures, des présidents, la guerre, la paix, le bonheur, la démocratie, la tyrannie – absolument tout. L’un de ses plus fervents lecteurs s’appelle Joseph Goebbels, qui saura remarquablement mettre en pratique ses théories afin d’éduquer le peuple allemand.
Cependant, Edward Bernays a aussi très vite et très bien compris que "propagande" était un vilain mot. Il lui substitue donc les termes plus policés de "relations publiques" et invente dans la foulée le métier qui va avec : "conseiller en relations publiques".
Grand promoteur de la démocratie, le conseiller Bernays n’aura de cesse, tout au long de sa prolifique carrière, d’y associer les valeurs et vertus du capitalisme, auxquelles il réussit à faire adhérer pleinement les Américains, en même temps qu’il leur inculque la haine du communisme.
Marcus Malte (in Qui se souviendra de Phily-Jo ?)