mardi 2 avril 2024

Rhizomiques #183

Elle avait les larmes aux yeux à l’épicerie, en regardant une boîte de pêches au sirop. Elle passait trois heures à essayer de libérer un papillon de nuit blanc qui était resté coincé dans la véranda. Elle rampait sur la pelouse après qu’il l’avait tondue, à la recherche de survivants, redoutant de trouver des corps d’insectes écrasés et hachés, des traces de terriers détruits et de rongeurs mutilés. Et, pendant ce temps, il continuait à acheter des packs familiaux de serviettes en papier, de gros paquets moelleux qu’il portait sur son épaule, comme s’il était une sorte de bucheron robuste et costaud – alors même qu’ils avaient convenu d’utiliser les serviettes réutilisables en bambou qu’elle avait achetées en ligne et qu’il avait jetées un après-midi par mégarde. Elle grimaçait quand elle faisait démarrer la voiture et que l’odeur d’essence commençait à se répandre dans l'air. Ils se disputaient pour savoir si Nora devait être élevée selon des principes végétariens ou si, au contraire, elle devait se nourrir quotidiennement de membres et de torses de gros animaux aux yeux de biche qui n’avaient pas vécu un seul jour sans être destinés à autre chose que l’abattoir. Pourquoi ne pouvait-on pas vivre sa vie comme on le souhaitait ? Pourquoi était-on toujours enchaîné aux gens qui sombraient autour de soi, pourquoi était-on aligné sur leur niveau de vie, pourquoi le seul choix était-il papier ou plastique, plutôt que de pouvoir choisit de ne rien acheter du tout ?
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Cela faisait partie de sa personnalité émotive prompte à la compassion, comme s’il était né et était devenu homme pour être choqué par la disharmonie du monde et en souffrir.
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Celui qui revendique la sagesse revendique la souffrance ; et un cœur doué de compassion perce les os telle une rouille.
 
Alexandra Kleeman (in Du nouveau sous le soleil)
& Lidia Jorge (in Estuaire)
& Saint Augustin