jeudi 15 mai 2025

Rhizomiques #215 (nouveau silence)

(Magritte)
 
« Tu as un rire particulier quand tu es avec Daddy, me dit mon mari, même quand ce qu’il dit n’est pas drôle. » Je reconnais le caquètement aigu qu’il décrit et je sais qu’il ne s’agit pas tant de ce que mon père dit, que du simple fait d’être avec lui. Un rire dont je ne rirai plus jamais. "Jamais" est entré dans ma vie pour y rester. "Jamais" semble si injustement punitif. Pour le restant de mes jours, je vivrai en tendant les mains vers des choses qui ne sont plus là.
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Impossible de quitter des yeux ce cercueil où Rosalind gisait dans le noir. Or elle n’était pas là, ni nulle part ailleurs, et la mort se définissait une fois de plus par sa réalité la plus simple, toujours saisissante : l’absence.
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Je ne sais pas si tu as déjà perdu une personne aimée et très proche. Quand un mort s’en va, il emporte son monde avec lui. Le sens de son monde. Ses vêtements cessent d’avoir une utilité. Ce manteau qui lui allait tellement bien et qui lui plaisait tellement n’est plus qu’une fripe absurdement accrochée à un cintre. Ses objets deviennent muets ; plus personne ne sait maintenant ce que signifiait cette tasse en porcelaine dans laquelle elle buvait toujours son thé, à quel moment elle l’avait achetée ni ce qu’elle lui rappelait. Ou cette petite pierre polie qu’elle avait toujours à côté de l’ordinateur : sur quelle montagne l’avait-elle prise, dans quelle rivière, pourquoi. Les choses se vident de leur histoire et de leur essence et se transforment en déchets. Les morts ne partent jamais seuls : ils emportent un morceau de l’univers.
 
Chimananda Ngozi Adichie (in Notes sur le chagrin)
& Ian McEwan (in Leçons)
& Rosa Montero (in La bonne chance)