Le lendemain, les porcs continuent de rogner la montagne. Le soleil tape dans un ciel bleu d’apocalypse. Je ne vois aucune marmotte. Je monte jusqu’à un cirque minéral d’où je n’envisage pas de me hisser plus haut, à travers le pierrier – pour découvrir au sommet une vue dégagée sur les stations de ski ? La tête me lance, peut-être par manque d’acclimatation à l’altitude, peut-être par tristesse. Les indications de sentiers portées sur ma carte de 1976 paraissent fantaisistes.
Je croise des vieux. L’un d’eux m’informe que le chemin du pré Machin est barré suite aux éboulements, comme si je ne savais pas lire, comme si j’allais au pré Machin. Un couple me demande de les prendre en photo, en contre-plongée puis en plongée. À une femme peu assurée dans un passage rocailleux je prodigue une leçon de bâton-pied – comme si elle avait besoin des conseils d’un connard condescendant. Un randonneur harassé me raconte que sa descente du pierrier s’apparentait à une "punition".
Dans le village, il y a des jeunes qui boivent des coups aux terrasses. Ils portent des vêtements confortables et stylés. Je les regarde d’un air mauvais en allant remplir ma gourde à la fontaine. Ma solitude est une évidence démographique. "Et la jeunesse est un état d’esprit. – C’est ça, tu es dans ma tête, tu es dans mes jambes ?" Je reçois un texto d’une amie qui m’apprend la naissance de sa fille. Cette nouvelle-née contemplerait l’ex-petite fille du fauteuil cassé comme celle-ci une contemporaine du milieu du XIXème siècle.