Un jour, alors que nous traversions la steppe de Mohylew où fumaient encore à l'horizon les villages incendiés que la forêt envahirait vite, le roi me demanda ce qu'était la nature. En accord avec mes convictions, je lui répondis qu'elle était tout ce qui nous entourait, à l'exception de ce qui était humain ; autrement dit, nous et nos créations. Le roi cligna des yeux comme s'il se livrait à une expérience visuelle, et j'ignore ce qu'il vit, mais il déclara :
Un vaste néant, donc.
Je pense que c'est ce que voient les pupilles des êtres élevés à la cour, habitués qu'ils sont à regarder les entrelacs des tissus vénitiens, les circonvolutions des tapis turcs ou les motifs complexes des carrelages et des mosaïques. Quand leur regard est confronté à la complexité de la nature, ils n'y perçoivent que le chaos d'un vaste néant.
Un vaste néant, donc.
Je pense que c'est ce que voient les pupilles des êtres élevés à la cour, habitués qu'ils sont à regarder les entrelacs des tissus vénitiens, les circonvolutions des tapis turcs ou les motifs complexes des carrelages et des mosaïques. Quand leur regard est confronté à la complexité de la nature, ils n'y perçoivent que le chaos d'un vaste néant.
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Dès qu'il en avait eu les moyens, il avait fait recouvrir le sol autour de la maison d'un manteau granuleux aussi redoutable que du papier de verre, impraticable pour les serpents – nous pouvions y marcher pieds nus, mais le moindre trébuchement nous arrachait la peau.
Modifier son environnement était l'une des passions de Jacques. Il avait fait goudronner à ses frais le chemin qui reliait les maisons du quartier à la route principale. (…) Je pense que s'il était allé vivre sur la Lune ou sur Mars, il aurait trouvé le moyen de s'y faire construire une piscine – avec une voûte transparente pour profiter de la vue.
Modifier son environnement était l'une des passions de Jacques. Il avait fait goudronner à ses frais le chemin qui reliait les maisons du quartier à la route principale. (…) Je pense que s'il était allé vivre sur la Lune ou sur Mars, il aurait trouvé le moyen de s'y faire construire une piscine – avec une voûte transparente pour profiter de la vue.
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Le Verbe fait chair, cette naïve histoire des commencements raconte surtout comment l'homme a faufilé son corps vulnérable et inadapté dans les neiges épaisses et les forêts d'épines. Il s'est emmitouflé dans sa parole. Il a parlé, parlé, parlé, il ne s'est jamais tu.
Il a su manier la phrase-épieu, la phrase-lasso.
Du mot silex, il a fait jaillir le mot feu.
Sa chair trop tendre, sa chair transie s'est faite verbe, c'est-à-dire plus exactement sujet. Il est devenu le personnage principal du récit qu'il écrivait. (…)
Voici l'homme, soudain, avec ses mots, avec ses idées, avec ses inventions, tout ce baratin performatif : il assèche ou inonde, lève des terres ou les tasse, il sème ou il déboise. Rien en l'état ne lui convient jamais. Le monde ne s'ajuste pas à son rêve, mais la notice de son taille-haie est traduite dans toutes les langues. Il va pouvoir le transformer à sa convenance.
Olga Tokarczuk (in Histoires bizarroïdes)
& Florence Seyvos (in Un perdant magnifique)
& Éric Chevillard (in L'Arche Titanic)
Il a su manier la phrase-épieu, la phrase-lasso.
Du mot silex, il a fait jaillir le mot feu.
Sa chair trop tendre, sa chair transie s'est faite verbe, c'est-à-dire plus exactement sujet. Il est devenu le personnage principal du récit qu'il écrivait. (…)
Voici l'homme, soudain, avec ses mots, avec ses idées, avec ses inventions, tout ce baratin performatif : il assèche ou inonde, lève des terres ou les tasse, il sème ou il déboise. Rien en l'état ne lui convient jamais. Le monde ne s'ajuste pas à son rêve, mais la notice de son taille-haie est traduite dans toutes les langues. Il va pouvoir le transformer à sa convenance.
Olga Tokarczuk (in Histoires bizarroïdes)
& Florence Seyvos (in Un perdant magnifique)
& Éric Chevillard (in L'Arche Titanic)