mardi 23 septembre 2025

"Tout doux"

mercredi 6 septembre
(9/10) 



    J’ai changé de vallée, dans celle d’à côté l’herbe est plus verte. J’y grimpe trois tours Eiffel, en préparation de la journée d’après où j’en gravirai quatre. Le soleil tape impitoyablement sur ma tête casquettée et sur mes mollets nus. Une dizaine de pies  m’encouragent, en bas de l’ascension, tandis que plus haut, sur un plateau d’altitude, se fait entendre le vol noir des corbeaux – quand les hélicos de la station de ski n’assourdissent pas la plaine.
    Alors que je me demande si je hais davantage la balafre de l’altiport qui m’obsède l’œil gauche à dix kilomètres de distance ou le pylône de mon œil droit qui dépasse la ligne de crête côté italien, l'arrivée d’un troupeau de moutons m'attendrit. Ils sont jolis, je m’apprête à faire une photo. Surgissent un patou et trois labradors, gueules écumantes, je m’éloigne, un chien aboyant sur mes mollets. Tout doux, protesté-je à reculons, mes bâtons de marche en défense. 
    Je ne vais pas les bouffer, tes moutons ! Ce pastoralisme agressif ne vaut guère mieux que la souille psychotique d'une porcherie. Si tu avais eu le temps de prendre une brebis en photo, sa voisine aurait pissé sur tes chaussures et tu aurais voué aux gémonies la race ovine. "C’est le genre humain qui me débecte, et j’admets des exceptions." Mais elle était belle, quand même, cette ballade ? Je ne sais pas trop. Oui, probablement, abstractions faites.
    C’était beau d’entendre le son d’ailes d’oiseaux brassant l’air. Dans ce ciel terrible, bleu délavé, qui forme couvercle caniculaire. "Ça manque de nuages", ai-je dit la veille à un  vieux qui marchait plus vite que moi dans la descente, et puis : "Ça ne manque pas d’orages". Voulant plutôt dire que les orages ne nous manquent pas. Le vieux du matin, privé de son pré Machin, avait fait preuve d'une obéissance navrante – "Le chemin est interdit". On ferait tous mieux de se taire.