samedi 13 juillet 2019

13 janvier


La culpabilité n’est pas dans la hotte – vide ou pleine – du père Noël.
Ni dans la superstition des feux de la Saint-Jean.
Elle n’est pas dans la passoire qui encombre ton égouttoir à vaisselle.
(Bien que la passoire t’attriste, tu en as besoin.)
La culpabilité n’est pas quelque chose dont tu aurais besoin.
Elle n’est pas non plus un sentiment.
On continuera d’ôter la vie pour notre plaisir.
(Et les cochons de sourire aux devantures des boucheries.)
La culpabilité n’est pas dans l’innocence vulnérable de la jouissance.
Ni dans l’abandon mesuré du lecteur.
Elle ne serait même pas dans la fidélité au mensonge.
(Mais là tu te pinces jusqu’à demander grâce.)

vendredi 12 juillet 2019

12 janvier


Que fait le boucher, rit-il également ? Le silence pour la plupart des gens n’est pas un prérequis, et nous ne savons plus avec évidence distinguer le chant du rossignol de celui du merle. Tant qu’il y aura des arbres en ville, la nuit… Tu as quitté l’île et tu le regrettes déjà ; la réalité, est-ce cela : des histoires de travailleurs, des sursauts de désir épuisé ou exaspéré, des désolations individuelles choquées dans la multitude ? D’invisibles accumulations aux yeux qui ne voient plus ? Ce qui t’apporte de la joie questionne la nature de ta joie. La poussière elle-même n’est pas exclue ; non plus que les scénarios désastreux. Contenus par des enclos de barrières métalliques, les sapins décharnés exposent au regard des enfants leur déchéance, y a-t-il un père Noël pour tolérer cela ? Y a-t-il un danseur pour slalomer entre les épines et déraper sur de la fausse neige et des déchets de polystyrène ? Tu dis Pardonne-moi, mes tendons sont blessés et mon âme à mi-hauteur seulement de la beauté de la tienne, tu dis Je viens de voir un chat écrasé dans la rue et je n’ai pas su quelle émotion me traversait, tu dis Je ne peux m’empêcher de craindre qu’une seconde de patience soit une seconde gâchée, et elle te répond : « Ne t’inquiète pas, je connais la grandeur de ton urgence ». Alors tu ris comme un boucher ou un bibliothécaire et tu n’ajoutes pas de dernier mot.

jeudi 11 juillet 2019

11 janvier


           Vers l’élévation si longtemps retardée, si tôt pressentie.
           Un enfant prépare son sac de survie.
           Un jeune homme épuisé pousse un caddie rempli de bières et d’alcools forts.
           Une scientifique égraine un chapelet de déroutes.
           La fin du monde aurait déjà dû se produire, nous qui sommes nés sommes des survivants. Des rescapés. Et nous faisons comme si tout n’avait pas été écrit. Dans la Peugeot Diesel attendait un nuage épais de fumée de cigarette, la portière claquée soulevait le cœur. Le bavardage dur, la mollesse du moteur, les virages mal amortis. Dans la maison les verres propres portaient des traces de doigt sur leur pourtour et l’on mangeait du foie ou de la cervelle. La nuit, des mains palpaient la chair tendre – cauchemar ? Dans le train, les fenêtres à guillotine s’ouvraient trop peu pour qu’on y passe un torse, même fluet, les autobus s’arrêtaient aux passages piétons qu’on traversait en courant. L’école était un cadrage pour l’idiotie, la sienne propre, celle des autres, l’idiotie des autres était plus valable que la sienne propre – qui était imbécilité. Les journaux poissaient les mains d’une encre humide. Et l’on se demandait pourquoi.
           La tempête est d’abord une respiration.
           Puis vient le chat sur les genoux, le thé fumant sur la table basse.
           Un bibliothécaire éclate de rire face au chaos – Chut, on travaille !
           Tu ne veux surtout pas envisager ton agonie.

mercredi 10 juillet 2019

10 janvier


Jusqu’où le resserrement du temps présent peut-il se supporter ? Quelle dose d’intensité ? C’est comme trop de jouissance. C’est l’éternité consumant l’orange, une blessure d’annihilation. Binh-Dû ne sait pas où il est, ce qu’il fait, ce qu’il est censé faire, et vous ? Vous souvenez-vous de votre naissance, des premiers cris, des premières résolutions abattues ? Des premières compensations consolatrices ? À chaque jour suffisent ses joies et ses peines (multiples si l’on en a la capacité), mais quel fut le premier jour dont vous avez connaissance, non pas le premier de vos souvenirs, au fond, tout au fond de votre coffre à jouets, mais la première connaissance de la matérialité d’un jour s’inscrivant dans une vague continuité ? L’avenir de Binh-Dû ne dépend absolument pas de lui, quoi qu’il entreprenne. Les enfants, il faudrait les laisser prendre le maximum de risques considérés et accepter d’emblée qu’ils échappent à la lignée. On s’en porterait mieux, tous, au lieu de s’asseoir lourdement sur ses acquis individuels. Mais on hurlerait aussi, comme des loups. Ce présent resserré est une pliure. Rangées la plage, l’île, la solitude apaisante. Clarifiés la foi et le désir. La course tourne sans fin, n’importent les coureurs, quelles mains font signe. Tu y retournes.

mardi 9 juillet 2019

9 janvier


La nostalgie d’une impossibilité : un jardin inépuisable, à parcourir sans peine et sans souci. Tends la main, que vienne s’y déposer ce dont tu as besoin. Les seules résistances rencontrées sont celles que tu souhaites, auxquelles tu as pris goût – une attente peut-être, afin de mieux jouir, ou la gravité terrestre avec laquelle tu as appris à marcher. Il y a d’autres animaux plus ou moins semblables à toi en ce lieu. Y compris des êtres humains, y compris Alma quelque part si c’est bien elle qui a cultivé la parcelle en contrebas des tours. Où est-elle à présent ? Pourquoi aurait-elle disparu ? Lui est-il arrivé malheur ou bonheur – ces questions n’ont pas cours. Tu ne ressens plus le besoin de t’inquiéter à partir d’une absence de réponses. Toi-même, tu as cessé d’être un sujet de questionnement. Tu continues de chercher mais par simple appréciation de la vertu d’une telle attitude. Le sens moral s’est allégé de sa propre pertinence – jusqu’à preuve du contraire tu es seul ici. Et dans ta solitude tu vas d’émerveillement en émerveillement, chaque pulsation de ton cœur est signe de joie. Pourtant : si tu devais revenir à la réalité des possibles, un hurlement issu du plus profond de toi serait à même de fendre le ciel.