Jusqu’où le resserrement du temps présent peut-il se
supporter ? Quelle dose d’intensité ? C’est comme trop de jouissance.
C’est l’éternité consumant l’orange, une blessure d’annihilation. Binh-Dû ne
sait pas où il est, ce qu’il fait, ce qu’il est censé faire, et vous ?
Vous souvenez-vous de votre naissance, des premiers cris, des premières
résolutions abattues ? Des premières compensations consolatrices ? À
chaque jour suffisent ses joies et ses peines (multiples si l’on en a la
capacité), mais quel fut le premier jour dont vous avez connaissance, non pas
le premier de vos souvenirs, au fond, tout au fond de votre coffre à jouets,
mais la première connaissance de la matérialité d’un jour s’inscrivant dans une
vague continuité ? L’avenir de Binh-Dû ne dépend absolument pas de lui,
quoi qu’il entreprenne. Les enfants, il faudrait les laisser prendre le maximum
de risques considérés et accepter d’emblée qu’ils échappent à la lignée. On
s’en porterait mieux, tous, au lieu de s’asseoir lourdement sur ses acquis
individuels. Mais on hurlerait aussi, comme des loups. Ce présent resserré est
une pliure. Rangées la plage, l’île, la solitude apaisante. Clarifiés la foi et
le désir. La course tourne sans fin, n’importent les coureurs, quelles mains
font signe. Tu y retournes.