samedi 21 juillet 2018

21 juillet

           La journée suit la courbe du soleil, au zénith se tient une discussion à l’ombre des frondaisons. Il y est question d’idéal, le doute est virulent. Celui qui répond au premier geste aurait-il pu parler le premier ? Cherche-t-on quelqu’un qui nous ressemble parce que nous sommes nés de quelqu’un à qui nous ressemblons ? Voit-on en l’autre la personne que l’on voudrait voir jusqu’au jour où l’on finira par y voir ce qu’on ne voudra plus ? Les vieilles questions ont la vie dure. Les nuages préfigurent un épisode pluvieux.
           Au matin pourtant l’amour chantait et nous tendait la main. Au soir, c’est un arbre noirci qui se couvre de roses. Le fleuve mène aux anciens abattoirs, s’y rendre à pas rapides redresse le moral. Là-bas, tout est prêt aussi pour la pluie qui ne viendra pas, le chapiteau à ciel ouvert assume sa fragilité. De quoi avez-vous le plus peur, comment rêvez-vous l’avenir, que voudriez-vous vivre avant de mourir ? Dix doigts s’entrelacent. Personne n’est forcé de répondre. Les baisers sont silencieux.


[merci à Gilles Cailleau]

vendredi 20 juillet 2018

20 juillet

Sur l’île, les supputations sont foison, à qui ce sourire insistant est-il destiné ? Nous sommes assis par terre, nous avons montré patte blanche et franc sac à la police, nous attendons entre personnes de bonne compagnie que le spectacle commence. Au matin, un héron a traversé le ciel sans que personne ou presque n’y prête attention. (Binh-Dû serait flatté qu’un chef tribal des Grandes Plaines le nomme ainsi, Personne-ou-presque.) Il y avait excès de sardines pour monter la tente au bord du fleuve.
Cette femme qui sourit semble hésiter à l’unisson, fut-elle connue dix ans auparavant dans une maison de l’emploi ? Est-ce ainsi que ses traits ont évolué, et l’expression que l’on devine en retrait du sourire est-elle mi-amusée mi-appréciatrice ? Faudrait-il se lever pour raconter le chemin parcouru, serait-il opportun d’improviser un bref rapport d’activité teinté de gratitude ? Ou son expectative s’adresse-t-elle à un spectateur situé dans la continuité de l’axe, comme si personne ou presque n’existait au milieu ?
Plus tôt dans la journée, un guitariste était persuadé de reconnaître en l'homme dégustant une crêpe avec son amoureuse (aurait-on cru) sous un grand arbre du parc quelqu'un qu'il aurait connu ailleurs, mais où ? Plus tard dans la journée un pianiste s'avère être le même pianiste qui un mois plus tôt ne s'était pas rasé le crâne - autour de lui, de très singulières amies communes sont aisément reconnaissables. En fin de soirée tous les chemins se séparent, non sans une inespérée exhalaison de boucles brunes.

jeudi 19 juillet 2018

19 juillet

De glissement en glissement, le délai s’accentue, devient détour. La ville est une boule hérissée de piquants, Paris est un hérisson. On veut éviter les bouchons, on s’éloigne, on fait le tour d’un grand stade et on revient, Paris est un flipper. La ville n’a pas de limite, elle se longe tel un chemin d’estuaire.
Et pendant ce temps, la plus tendre des ondines confectionne des sandwiches. Patiente, ses yeux brillent d’un feu qui rassure et guérit. Elle est ce qu’en disent les légendes, les boucles de ses cheveux sont des langues d’amour, et son front renferme le trésor d’une âme pure. Le manque, chez elle, est une orée.
L’ignore-t-elle, pourtant ! Elle propose un thé sur un banc. Mieux vaut s’échapper, s’en aller dîner dans les champs. Au loin la pluie rivalise avec les rayons du soleil couchant, en traits obliques, cendres grises, gloire blanche. Les hirondelles ont fait leur nid dans un village aux deux rivières, où paissent aussi des moutons.
Tombe la nuit, et l'orage annoncé. Qui se mue en déluge cisaillé d'éclairs. Écrin pour que soient confiées la colère, la honte, la peur. Entendues, acceptées, alchimisées par le tonnerre. À l'arrivée il ne pleut presque plus dans les flaques, des étoiles apparaissent derrière le pare-brise. Jusqu'à plus d'heure.

mercredi 18 juillet 2018

18 juillet

Il fait chaud, le temps glisse. L'attente se rapproche du lendemain où les amarres enfin seront larguées. Il y aura un effort requis puisque d'avance le bras est douloureux, de l'épaule au poignet, le bras qui tiendra le volant, l'autre reposant sur la portière, vitre baissée. Dans des circonstances plus solitaires cette contrariété musculaire serait prétexte à rester couché. A regarder dans l'écran de télévision les petits bonshommes pédaler en haut des cols. Il fait si chaud. Et les orages menacent, non ? Oui, si l'on en croit les prévisions météorologiques. Si l'on croyait les prévisions de toute sorte - celles qui ont les apparences du bon sens - on n'irait pas bien loin. On guetterait l'époque à venir des casques immersifs, quand il ne sera plus nécessaire de grimper la moindre colline pour tenter de ressentir ce qu'est le vol d'un aigle. Quand partager une expérience commune ne fournira plus un motif de déplacement - autant rêver sans regret aux temps de la sauvagerie. La transpiration ruisselle dans l'immobilité du cube, volets fermés. Dernières dernières fois avant l'accostage du retour, partir en vacances est un renoncement provisoire. A une poignée de kilomètres d'ici, un autre sac à dos se remplit - dans la joie.

mardi 17 juillet 2018

17 juillet


Dieu est un concept imprécis, précaire et obstiné. Il fait loi parmi d’autres lois humaines. Mais si nous aimons rêver grand, nous préférons voir petit. Nous, les sédentaires. Qu’importe le nombre de pièces, au final demeure un enserrement de murs, un plafond, un plancher. Même un jardin n’y change rien, même une terrasse ouverte sur le ciel, c’est toujours la sécurité qui nous tient. Binh-Dû étire ses membres en travers du lit. Si sa tête était d’une forme plus allongée il pourrait se prendre pour une étoile. Il rêverait à en désarticuler la cause de tous ses pincements (oh, cette nuque si raide !), il délaierait les acidités dans l’écume lactée de l’amour sans souci. Il se réveillerait au moment qui lui plairait, ainsi qu’on change de position – par préférence. Tout changerait d’un coup s’il rencontrait une jambe distincte des siennes : Dieu passe le relais dès lors que nous sommes deux. Parés pour le voyage, redressés, debout, un pas à tour de rôle dans le monde extérieur. Si je penche trop tu me retiens, si c’est toi qui penche je me redresse. L’équilibre vient en marchant, jusqu’à l’audace d’inventer sa trace. Binh-Dû est si solitaire qu’il en oublie souvent qu’on l’aime.

lundi 16 juillet 2018

16 juillet


À choisir, être tour à tour le sujet et l’objet. De quelque chose, nécessairement. Cette chose qui se situe entre l’homme impatient qui s’exaspère de subir la lenteur de ceux qui le précèdent – Mais allez, remuez-vous un peu, pensez aux autres, laissez-moi le champ libre ! Et l’homme placide qui ne voit pas de sens à précipiter ses gestes, bien au contraire – Pourquoi es-tu si pressé, qu’est-ce qui a tant d’importance que tu ne puisses pas attendre quelques secondes de plus ? Il y a peu d’alternatives pour les sujets qui s’ignorent.
Dans tous les cas, il manque une femme. Les deux hommes objets reflètent l’un de l’autre l’animosité qui les réduit. Ce qui se situe entre eux c’est aussi là où ils se situent, dans une station-service aux prix cassés. Un monde de virilités et de voitures qui chauffent. Binh-Dû quant à lui envoie des lettres amicales sur la toile. Par paquets de six, sa dose journalière. Immatérielle à souhait. Sans obligation de réciprocité. Le jour suivant il relève son courrier, le taux de réponse immédiate est de 17%. De quoi tremper ses lèvres au verre au sixième plein.

dimanche 15 juillet 2018

15 juillet


Puisque la période est à la mélancolie prématurée... Il ne manquerait parfois qu’un cadre rectangulaire – quatre doigts joints et deux paumes dressées à la verticale y suppléent avec une étonnante efficacité, encore faut-il assumer, et le regard appuyé et la mise à distance – pour obtenir une émotion cinématographique. Ce visage à fleur de peau baigné d’un soleil orangé de fin de journée. On prolongerait le film grâce aux bonus du DVD – les scènes coupées au montage qui ne trouvèrent pas à s’inscrire dans la narration.
Coupés au montage les passages honteux, médiocres, pusillanimes à l’excès. La litanie du premier poil blanc, les douleurs dépourvues de sens. Les attentes paresseuses. Les redondances. Nous serions les réalisateurs de films propagandistes incitant les âmes hésitantes à prendre corps. Comme des migrants exilés sur Terre et qui dépeindraient à la famille restée au pays une réalité épurée - Tout va bien, je vais vous envoyer de l’argent. Le film préféré de Binh-Dû montrerait un temps d’avant, perpétuellement suspendu.