jeudi 2 mai 2019

28 avril


                La force du vivant est la joie. Maquillée parfois de quotidien – se nourrir, se protéger, parvenir jusqu’à l’abri de la nuit – mais telle est-elle autour de nous, si puissante, si exemplaire. En nous ? Pauvres humains dans leurs voitures, tripotant leurs bidules électroniques. À l’arrêt le moteur cliquette, dehors il fait chaud dès les premiers pas vers la place de l’église.
                Un vieillard tout tordu tend son visage buriné sous la fontaine, l’eau scintille dans sa barbe quand il se redresse un peu – jouvence ? Il observe le touriste qui hésite au son des cloches sur le chemin à suivre, trois propositions sur le poteau. Question de génération, de racines, « Je vais plutôt prendre le sentier du col », finit de se décider, à voix haute, le touriste.
                Comme s’il s’agissait de commander dans un restaurant. Mais ce col lui aussi est sous la neige, on l’aperçoit entre deux sommets, par où passent les nuages. Depuis un rocher éboulé déjà la vue est belle, à contempler sans méditation. Trois marmottes pointent leur nez ; un bouquetin ; un accenteur alpin son bec. Le « je » qui regarde, immobile, est dénué de motif.

mercredi 1 mai 2019

27 avril


                Deuxième tentative, un peu plus bas dans la vallée, toujours trop haut, la neige s’est amassée dans les sous-bois. À peine on s’élève elle monte aux mollets.  Elle a fait s’effondrer des sapins en travers. Sur l’adret elle dévale en craquant, laissant un sillage poudreux. Il est midi, temps de redescendre avant qu’elle ne fonde davantage.
                Les feuilles des noisetiers s’offrent en prière au sortir du bourgeon ; celles des marronniers semblent épuisées par leur naissance, telles des ailes mises à sécher (elles pendent). Tout ceci est provisoire. De même les épines des épicéas, lesquels hâtivement on dénomme sapins. Ce monde est jeune et vieux.
                Dans la vallée, au pied des montagnes se sont accumulés deux siècles de déchets. Métal extrait de la terre, un sale reliquat d’usines et d’industries plus ou moins durables. Comme un éboulis chu du paradis. Il faut dépasser la lie pour revivre aux champs de pissenlits, et à l’extinction de la lumière souffler sur l’essaim des pappus.

mardi 30 avril 2019

26 avril


                Une volée de moineaux ouvrant le chemin s’avère feuilles mortes au sortir de l’hiver. Quel enthousiasme ! Elles gravissent la pente dans la joie – la joie est l’expression-racine du vivant. Elles fouettent l’air vif, incitent à les suivre, ça monte en lacets rocailleux. Le souci est que ces chaussures sont fendues aux coutures.
                L’hiver se retrouve quelques centaines de mètres plus haut. Déjà ? Déjà passés les champs fleuris, les pépiements, le renouveau, déjà renversé le regain et ce serait le froid qui reviendrait aux chevilles, les orteils glacés davantage humides à chaque levée de jambe enfouie jusqu’au genou ? La neige cède en interdisant le passage.
                En-dessous coulent des ruisseaux. Un homme descend d’un pont pour inspecter le rivage, tandis que ses amies le rejoignent à vélo. Elles sont deux, ce qui fait quatre, soit trois échanges de sourires au croisement. Puis au retour, les directions inversées : « Vous avez oublié quelque chose ? » Deux amies pour un seul homme, c’est une de trop.

lundi 29 avril 2019

25 avril


       Les champs de colza tirent vers l’orangé quand le soleil les invite à sa suite. Oh oui ça tire, à chaque éclat stroboscopique de platane ! De l’autre côté de la route le temps procède plus doucement, l’ombre est un abandon consenti. Les vaches sont couchées, ce qui est sûrement le signe de quelque chose, et les trains se sont repliés sur leur wagon-bar.
       C’est comme si la vitesse – toute relative pourtant – allait mener ta voiture à bon port, et qu’alors seulement le poids des ans se ferait sentir. Alors tu tomberais en panne. En attendant, tout semble suspendu, à commencer par l’aiguille de la jauge, à l’exact rebord du rouge. Tes poumons sauront-ils se remplir à nouveau ?
       À force de ne rien consommer tu as pris peur. Le réservoir rempli accueille plus que sa contenance supposée : en un sens c’est logique. Dormir là-dessus, une haie où nichent des oiseaux berceurs sépare de la voie ferrée. L’endroit serait parfait… Si une corne de brume ne faisait vibrer les rails à chaque orée d’endormissement.

vendredi 26 avril 2019

... fin


Le réveil n’a pas encore sonné, Jumien retarde le moment d’ouvrir les yeux. Il se sent en suspens entre la veille et le sommeil, il n’a pas encore réintégré son corps. Il lui faut quelques instants pour se souvenir qu’il n’a pas dormi dans leur lit. Ses sensations sont faussées, à la fois il ne pèse rien et il est une masse d’inertie en attente que la parcoure l’énergie du quotidien où il lui faudra bien recommencer à se mouvoir, d’un instant à l’autre. Le sentiment d’une présence soudain le fait frémir : Sylvelle se tient au-dessus de lui, son visage tout contre le sien. Son expression est indéfinissable, Jumien cligne des yeux pour y voir mieux, il y a urgence. Dans les pupilles de Sylvelle se reflète un visage imprécis.

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jeudi 25 avril 2019

§ 38


Ils ont assez parlé en vain pour la journée, Sylvelle est épuisée. Elle va se coucher, demain sera un autre jour. Peut-être Jumien a-t-il raison de croire que tout redeviendra comme avant, par le miracle d’une perte de conscience dans le sommeil. Ou peut-être y aura-t-il demain deux Jumien ? Non, Sylvelle refuse d’envisager cette aberration, ou c’est l’insomnie assurée. Jumien accepte à contrecœur de dormir dans le canapé, Sylvelle a l’impression de se reconnaître, elle plutôt que lui, dans cette attitude maussade. Tout à l’heure, elle a craint qu’il pose la main sur sa cuisse, dans le bain – comme s’il était létal. Il y avait de l’excitation aussi, même chez elle. Du désir ? Plus de désir qu’ils n’en connaissaient dernièrement. Elle avale un cachet.