Hybrides #4

- Les gens disent que les Indiens ne sont même pas reconnaissants de bénéficier de l’aide sociale, mais la vérité c’est qu’ils trouvent que nous ne nous sentons pas assez coupables de recevoir de l’aide. Les jeunes comme moi, les radicaux, vous diront que c’est parce qu’on nous a tout volé et on mérite bien les miettes qu’on nous rend. Et c’est vrai. Mais là n’est pas le problème. Les vieilles personnes, ici, elles ne pensent pas au massacre de Wounded Knee, elles acceptent simplement ce qui vient. Pour nous, c’est la chose la plus naturelle du monde de demander de l’aide si on en a besoin.

- J’ai remarqué ça chez ma cousine. On marchait et elle a vu des épinards sauvages qui poussaient dans le fossé, et elle est descendue en ramasser, tout simplement. Elle se fichait pas mal que quelqu’un passe en voiture et la voie. Et moi qui pensais : je veux bien manger des épinards sauvages si je peux pas faire autrement, mais je m’en voudrais que quelqu’un découvre que je suis fauchée à ce point.

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Il écrit qu’en toi s’affrontent une aptitude à l’empathie, un sens moral élevé, une rationalité rigoureuse et une sensation de vide chronique, des angoisses d’abandon, des phases de colère aiguë, et ton obsession pour elle. Le résultat était un sentiment de honte immense. La folie (ce terme, c’est moi qui l’emploie) était le prix à payer pour le temps passé à être trop lucide. Un prix que la plupart des gens, d’instinct, savent trop élevé.

Barbara Kingslover (Les Cochons au paradis)

& Eliott Perlman (Ambiguïtés)

 

Vivaces #2

Je suis décidé à militer plus activement que jamais en faveur de la nature, et je pense que c'est le devoir de chacun de nous, devant une telle horreur, un tel vol, un tel gâchis. Pourtant, en prenant de l'âge, je suis de plus en plus conscient d'une autre obligation qui m'incombe envers l'avenir, devant cette même horreur (un monde sans parulines, sans gloutons !) : celle de vivre pleinement et joyeusement comme le feraient les futurs habitants de ce monde si on leur en donnait l'occasion, animés par un esprit d'innocence, un sens de la vie flamboyant et plein de hardiesse.

(Rick Bass in "Journal des cinq saisons")

Cette suffocation est le moyen, parce que si l'on suffoque on doit chercher le moyen d'en sortir. Et quel est le moyen ? Il est infiniment simple, n'est-ce pas : c'est d'appeler.

(Satprem in "Sept jours en Inde avec Satprem - entretiens avec Frédéric de Towarnicki)

Hybrides #3

- Tu vois où je veux en venir, maintenant ?

- Je n’en suis pas sûr. Mais je ne suis pas sûr que ça importe. J’ai compris que tu avais passé la soirée dans ce bar, à boire gratis, grâce aux bons offices de Tiffany, qui a des gros seins. T’as dragué toutes les nanas à moitié nues qui passaient à ta portée, t’as suivi les danseuses aux toilettes, et cetera. Là-dessus tu rencontres Alvin, que tu ne veux pas emmener chez Odette. Je n’ai rien oublié ?

- Ouais, c’est à peu près ça. Pour résumer.

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La routine même de mon existence m’empêchait de rencontrer quelqu’un avec qui parler, partager mes problèmes, quelqu’un qui se soucie de moi, des autres, quelqu’un qui soit capable de penser. Il était peu vraisemblable que je connaisse le moindre abandon joyeux, la moindre allégresse dans le cadre d’une prochaine relation. Si bien que, des années plus tard, lorsque j’ai cru l’avoir à portée de main, la surprise a été totale.

Je ne m’attendais pas à me retrouver souriante, vibrante de frissons, heureuse d’être en vie. (…) Tout était à la fois nouveau et familier.

Dan Fante (LeBobby)

& Elliot Perlman (Ambiguïtés) 

Vivaces #1

Le système nous veut tristes, il faut arriver à être joyeux pour lui résister.

(Gilles Deleuze)

Mon euphorie n'arrêtait pas de progresser, mais je ne savais pas quoi lui dire sur le bonheur. Elle en a alors profité pour me raconter qu'elle avait lu un jour dans un livre qu'un professeur d'anglais de Shanghai avait demandé à un étudiant chinois quel avait été le moment le plus heureux de sa vie et, après avoir très longtemps hésité, celui-ci avait fini par sourire, rougir et lui répondre que sa femme était, une fois, allée à Pékin où elle avait mangé du canard, elle lui parlait souvent de ce voyage, aussi pouvait-il dire que le moment le plus heureux de sa vie était le voyage de sa femme au cours duquel elle avait mangé du canard.

(Enrique Vila-Matas, in "Impressions de Kassel")

Hybrides #2

Voyez-vous, dis-je, à un certain point je me suis mis en tête que les histoires qui sortaient de ma fantaisie pouvaient se répéter dans la réalité, et pendant ce temps j’écrivais des histoires méchantes, voilà le mot, et puis, à ma grande surprise, la méchanceté se répéta vraiment dans la réalité, bref j’ai guidé les événements, voilà mon orgueil. Et puis ?, demanda le prêtre. Et puis quoi ?, demandai-je à mon tour. Tous les autres péchés que tu as commis dans ta vie, dit-il, qui sait quels autres péchés tu as commis dans ta vie. Beaucoup, répondis-je, mais ceux-là n’ont pas d’importance, ils appartiennent aux petites misères des hommes, je n’en ai rien à faire, laissons-les tomber.

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« Un homme n’emmène pas une jeune fille se faire coiffer s’il n’aime pas cette jeune fille, décréta-t-elle, c’est moi qui te le dis. Ça n’existe pas. »

Et je hochai la tête car, de nouveau, je ne savais pas quoi dire.

« Ça n’existe pas », répéta Mama Joe, comme si je l’avais contredite. Un cafard surgit de derrière son tabouret, et elle l’écrasa sous son pied nu. « Que Dieu pompe le pouvoir du diable », asséna-t-elle.

Antonio Tabucchi (Pour Isabel)

& Chimananda Ngozi Adichie (L’hibiscus pourpre)