On s’arrête juste à l’endroit où Andy démarre sa
tronçonneuse. La lame se bloque puis rugit, elle s’arrête et rugit à nouveau en
dérapant dans l’aigu. Andy nous sourit (…) et puis il appuie les dents
tourbillonnantes de sa lame contre un gros tronc de sapin. Une fontaine de
copeaux blancs jaillit dans la lumière. (…) Quand l’arbre grogne, bascule et s’abat
d’un seul coup, je surveille mon frère du coin de l’œil et je vois que ça l’impressionne.
Du coup, je me sens mieux. Je commençais à me demander si ça allait être possible
de parler avec lui ; je commençais à me demander si ce qu’un type apprend
en douze ans dans un monde si différent du nôtre, ça ne serait pas comme une
sorte de langue étrangère avec certains mots de notre univers à nous mais pas
suffisamment pour qu’on puisse s’y retrouver, pas suffisamment pour qu’on
puisse se parler. Mais quand je le vois qui regarde cet arbre tomber, je me
dis, il y a au moins ça : il est comme tous les gens que je connais, ça
lui plaît de voir un arbre se faire abattre.
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À un moment au cours des quatre cents derniers
millions d’années, un arbre quelconque a tenté toutes les stratégies qui
avaient la moindre chance de fonctionner. Nous commençons tout juste à
comprendre la variété de ce que cela peut recouvrir - fonctionner. La vie a un moyen de s’adresser au futur. Ça s’appelle
la mémoire. Ça s’appelle les gènes. Pour résoudre le futur, nous devons sauver
le passé. Ma règle empirique, elle est toute simple : quand vous abattez un
arbre, ce que vous en faites devrait être au moins aussi miraculeux que ce que
vous avez abattu.
Ken Kesey ("Et quelquefois j’ai comme une
grande idée")
& Richard Powers ("L'Arbre-Monde")