La journée des cinq « non » est une fuite
interrompue entre deux parois rocheuses. Là coule une rivière qui par fortes
pluies charrie des galets, d’une baignoire naturelle à l’autre. Par fortes
chaleurs on traverse la route sans regarder à droite ni à gauche, nul besoin.
Les pieds sont nus ou simplement chaussés de claquettes pour descendre jusqu’à
la rive. « Tu viens te baigner avec moi ? » Dans la transparence,
des alevins se déplacent à petites coups de nageoires, tout compte fait c’est
oui. La sueur quitte les corps nus, un nuage obscurcit le soleil trop violent.
« Tu restes dîner ? » Devant la fenêtre de la cuisine l’arbre à kiwis
pousse ses branches entre les figuiers et les
treilles, l’ensemble forme tonnelle à la terrasse, et dans le four cuit un pain aux olives, fariné des premières châtaignes, tout
compte fait c’est oui. « Tu voudras du raisin ? » Les figues
déjà ont prodigué un content de sucre, et le melon, et la tomate russe, mais
tout compte fait c’est oui. « Tu prendrais du beurre sur ton
pain ? » Chaud sorti du four, embaumant la pièce, le pain se suffit à
lui-même, mais s’il est chaud c’est pour faire fondre, tout compte fait c’est
oui. « Tu restes dormir ? » Tout compte fait c’est non, il
s’agit de reprendre la fuite, une fois au moins s’en tenir à ce que l’on
annonce. Et sans regret quitter le paradis.
mardi 10 septembre 2019
lundi 9 septembre 2019
9 septembre
La terre
s’élève du sol en tourbillons, comme un message discret murmuré par le sol
arasé. Au loin les montagnes semblent bleues. Des humains les ont contemplées
il y a longtemps, et la nuit ils s’efforçaient de percer le mystère des
étoiles. Ils n’y parvenaient pas, ils ont dressé des pierres sur le plateau et
le long des chemins qui y menaient. Aujourd’hui on les nomme menhirs, on y
appose les mains. Le granit est parsemé de lichens colorés. Il n’y a guère
d’autre bruit que celui de l’air que l’on respire, comme une transmission de
poumons à poumons.
Plus
souvent tu es en colère. Tu ne vois rien tellement tu penses et tu ressasses.
Tu y passes des heures et des heures, à travers les champs et les forêts. Un
taon se pose sur ta jambe, tu dois le frapper à plusieurs reprises et il y
revient encore, indécrottable. Y a-t-il mieux à faire ? Inconsciente de ta
présence une biche traverse le chemin, ses sabots éparpillent des pignes de
pin. Tu ne bouges plus. Plus tard, sur la route, la colère te reprend à la vue
des éoliennes qui tranchent le ciel, le paysage, ton âme. C’est en luttant que
mourut Don Quichotte.
mercredi 4 septembre 2019
4 septembre
La nuit est noire de la main à la
bouche,
les fourmis ont un goût piquant.
Celles qui en réchappent finissent
écrasées
sur ta peau que tu ne lèches pas.
Les pyrales s’élèvent et
tourbillonnent autour
des réverbères, comme le sucre rose
s’agglutinant sur le
bâtonnet d’une
barbe à papa.
Ces braves gens sont tellement
terrifiés
par l’existence qu’ils sont prêts à parler
avec n’importe qui de la
pluie
et du beau temps.
Mieux vaut être muet sous le
soleil
que molosse dans sa niche,
asservi à la promesse du maître selon qui
vous êtes méchant.
Le lac est moins mobile qu’une
baignoire,
et pourtant le flanc des falaises se creuse,
révélant une terre ocre
comme chair.
Les mûres sont poussière.
Est-il venu d’Afrique, lui qui marche
seul ?
Craint-il les éoliennes autant que toi ?
Es-tu seul, as-tu
peur ?
Est-ce que tu disparais si tu fermes les yeux ?
mardi 3 septembre 2019
3 septembre
Quand tu
penses « Je pense que », dans quelle mise en abyme te
plonges-tu ? Quand tu penses et formules « Franchement », qui
tentes-tu de convaincre (sachant pertinemment que « franchement »
identifie l’escroc) ? Quand tu penses « Je », qui est là ?
Qui s’adresse à qui ?
Un, les
hirondelles savent l’heure mieux que n’importe quel égaré dormant à côté de
l’église. Les punks sortent du squat au petit matin pour traverser la rue et
attendre le soleil sur le banc de l’abribus. Quand ils ont repris de la vigueur
ils hurlent sur leurs chiens qui aboient sur les chèvres. Deux, au soir les
figues ont gonflé sur l’arbre et dispensent un goût tiède et sucré. Une pomme
un peu plus loin tombe dans la main, offrant son acidité en contraste. Restent
les mûres grâce auxquelles nous nous souviendrons toujours des enfants que nous
étions et de notre joie insouciante.
Il y a
de quoi s’inquiéter, d’autant qu’au début (trois) on s’est émerveillé :
quel pétillement, quel scintillement festif ! Mais non. Les pyrales sont
autant de flammèches blanches ou de cendres tièdes qui consument les buissons.
Certains papillons ne sont pas ce qu’on aime nommer papillon.
lundi 2 septembre 2019
2 septembre
Les
hirondelles tournoient autour du clocher de l’église – qu’avons-nous besoin de
cloches ? Les papillons se posent sans bruit, le dessin des ailes de l’un
évoque un léopard dont le pelage assourdirait l’affût, celui de l’autre est une
montagne en négatif dont seule la cime ne porte pas de neige. Dans les deux cas
la discrétion s’impose. Sous la chaleur du soleil, les genêts craquent leurs
cosses dans des claquements secs comme des coups de fusil. Une abeille cherche
le sucre sur une broderie de fleur. Les réflecteurs blancs et rouges
ressemblent à s’y méprendre à un balisage de sentier. Vous franchissez la clôture de silence, prévient un écriteau aux
abords du monastère.
« Mes
chers frères. Cet après-midi entre none et vêpres, j’ai rencontré un homme,
vous l’avez peut-être aperçu vous-mêmes, qui marchait sur les sentiers de notre
prieuré. Il prenait à droite, à gauche, revenait sur ses pas, d’une allure
égale non exempte toutefois de fatigue. Quand pour la troisième fois il est
passé devant la fenêtre de ma cellule je suis sorti lui parler. Il m’a dit
qu’il cherchait son chemin. Je lui ai demandé s’il avait une carte ; il
n’en avait pas. Où souhaitait-il se rendre ? Il a désigné d’un geste vague
les montagnes et dit Là-bas, ajoutant Je me suis un peu perdu. Eh bien
voyez-vous, mes chers frères, cet homme perdu, aux intentions imprécises, dans
l’errance, harassé, c’est l’homme qui ne sait pas trouver Dieu. Ce serait
n’importe lequel d’entre nous si nous n’avions pas prononcé nos vœux en le
Seigneur et la Voie monastique. Alléluia, nous ne sommes plus perdus. La
lumière de Dieu nous guide dans les montagnes. Il nous a donné Sa carte et une
boussole. Il nous a donné des prières et des intentions claires. Et nous ne
sommes pas partis à sa recherche en fin de journée, quand il aurait été déraisonnable d’espérer atteindre le sommet de la montagne avant la nuit, non,
nous sommes en chemin depuis l’aube, nous avons choisi de consacrer toute notre
existence à ce cheminement, toute notre vie mature et il n’en faut pas moins.
Nous avons Sa boussole et nous avons le courage et la détermination de la foi.
Mes chers frères, remercions le Seigneur de nous avoir appelés, et prions pour
cet homme et pour toutes les âmes errantes du monde séculier. Amen. »
Oh,
l’abbé, ton monastère sentait la mort. Un moine dépressif se ratatine face à la
vallée ouverte devant lui, assis la tête entre les mains. Vienne
un Jésus dans le contre-jour, identifiable à sa barbe de dix jours, les hardes
décolorées par le soleil, qui à l’oreille lui murmurerait
« La joie » tout en esquissant de deux doigts une bénédiction, il se
prosternerait, soudain illuminé. Et ne le verrait pas disparaître comme il est
apparu. Se perdre est aussi une bénédiction, tandis que les cartes tracent les
contours d’une irrémédiable résignation et d'un désenchantement. L'homme de passage n'aurait vu ni cet arbre ni cet écureuil grimpant en colimaçon dans le feuillage.
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