lundi 2 septembre 2019

2 septembre


           Les hirondelles tournoient autour du clocher de l’église – qu’avons-nous besoin de cloches ? Les papillons se posent sans bruit, le dessin des ailes de l’un évoque un léopard dont le pelage assourdirait l’affût, celui de l’autre est une montagne en négatif dont seule la cime ne porte pas de neige. Dans les deux cas la discrétion s’impose. Sous la chaleur du soleil, les genêts craquent leurs cosses dans des claquements secs comme des coups de fusil. Une abeille cherche le sucre sur une broderie de fleur. Les réflecteurs blancs et rouges ressemblent à s’y méprendre à un balisage de sentier. Vous franchissez la clôture de silence, prévient un écriteau aux abords du monastère.
           « Mes chers frères. Cet après-midi entre none et vêpres, j’ai rencontré un homme, vous l’avez peut-être aperçu vous-mêmes, qui marchait sur les sentiers de notre prieuré. Il prenait à droite, à gauche, revenait sur ses pas, d’une allure égale non exempte toutefois de fatigue. Quand pour la troisième fois il est passé devant la fenêtre de ma cellule je suis sorti lui parler. Il m’a dit qu’il cherchait son chemin. Je lui ai demandé s’il avait une carte ; il n’en avait pas. Où souhaitait-il se rendre ? Il a désigné d’un geste vague les montagnes et dit Là-bas, ajoutant Je me suis un peu perdu. Eh bien voyez-vous, mes chers frères, cet homme perdu, aux intentions imprécises, dans l’errance, harassé, c’est l’homme qui ne sait pas trouver Dieu. Ce serait n’importe lequel d’entre nous si nous n’avions pas prononcé nos vœux en le Seigneur et la Voie monastique. Alléluia, nous ne sommes plus perdus. La lumière de Dieu nous guide dans les montagnes. Il nous a donné Sa carte et une boussole. Il nous a donné des prières et des intentions claires. Et nous ne sommes pas partis à sa recherche en fin de journée, quand il aurait été déraisonnable d’espérer atteindre le sommet de la montagne avant la nuit, non, nous sommes en chemin depuis l’aube, nous avons choisi de consacrer toute notre existence à ce cheminement, toute notre vie mature et il n’en faut pas moins. Nous avons Sa boussole et nous avons le courage et la détermination de la foi. Mes chers frères, remercions le Seigneur de nous avoir appelés, et prions pour cet homme et pour toutes les âmes errantes du monde séculier. Amen. »
           Oh, l’abbé, ton monastère sentait la mort. Un moine dépressif se ratatine face à la vallée ouverte devant lui, assis la tête entre les mains. Vienne un Jésus dans le contre-jour, identifiable à sa barbe de dix jours, les hardes décolorées par le soleil, qui à l’oreille lui murmurerait « La joie » tout en esquissant de deux doigts une bénédiction, il se prosternerait, soudain illuminé. Et ne le verrait pas disparaître comme il est apparu. Se perdre est aussi une bénédiction, tandis que les cartes tracent les contours d’une irrémédiable résignation et d'un désenchantement. L'homme de passage n'aurait vu ni cet arbre ni cet écureuil grimpant en colimaçon dans le feuillage.