lundi 25 novembre 2019

25 février


           Il en faudrait, de la consolation, et pourtant nous sommes vivants ! Le ciel est bleu ! Parlons-en justement, du ciel bleu. (Ou bien non, on en a déjà assez parlé, et du soleil qui tape, et des arbres qu’on assassine, et des oiseaux qui ne reviendront plus, et de tous les horizons perdus… On s’est déjà lamenté, on a déjà traversé toutes les étapes du deuil avant d’oublier un peu – pour vivre ! – et d’en revenir au point de départ, à peine moins imbéciles, moins innocents, plus entamés. On a déjà supplié d’être tant bien que mal consolé. Parlons d’autre chose.)
           La douleur, ça intéresse quelqu’un ? L’abrutissement à vif… Non, pas cet égotisme, à moins d’abdiquer toute pudeur. Rêvons plutôt. Les jolies filles restent au pied de l’immeuble mais te demandent de monter jusqu’au quatrième afin de vérifier si elles peuvent t’entendre. Tu en doutes, elles parlent à voix basse. Un chien désœuvré te suit dans l’escalier. Les portes sont ouvertes mais tu peux les fermer – le chien attendra. Les placards sont fermés mais ils ne sont pas vides, ce qui attend, tu n’en as pas la moindre idée. Tu te penches sur le balcon. Hello !

dimanche 24 novembre 2019

24 février


           Le froid n’est pas le froid tant qu’il n’atteint pas les os. La faim n’est pas la faim tant que tu n’éprouves pas un bonheur halluciné. La soif n’est pas la soif tant que tu peux penser à ton prochain mouvement. Le désir n’est pas le désir tant qu’il n’a pas été déçu. La peur n’est pas la peur tant qu’elle n’est pas devenue panique. L’amour n’est pas l’amour tant qu’il n’est pas éternel. L’espoir n’est pas l’espoir tant qu’il n’est pas déjà un peu trop tard. Mais qu’as-tu besoin de définitions négatives ? Bois ton thé, épluche ton orange. Et sors de ta maison !
           Ce n’est pas sans risque, certes. Les rues pavillonnaires sommeillent, désertes en plein jour, c’est l’heure de la sieste. Un meurtre s’y commettrait en terrain propice, de même que les virus s’épanouissent entre deux saisons. Penses-tu. Soudain, une bille de plomb frappe la palissade du jardin que tu longeais, à quelques centimètres près, tu perdais un œil. Les fenêtres alentours ne laissent rien deviner d’un tireur embusqué. Tu ne cries pas à l’assassin, tu t’enfuis comme un étranger, dans le ciel les étourneaux forment une consolante murmuration.

samedi 23 novembre 2019

23 février


           Mais pour guérir il faut suer. Pour suer il faut boire. Pour boire il faut se lever. Pour se lever, il faut en trouver l’énergie. Pour l’énergie il faut le désir, la peur ou le devoir. Binh-Dû voit un cheval gris marcher dans la forêt, encolure baissée. Le cheval ne le voit pas beaucoup mieux qu’un arbre. Il est vieux, le cheval, et les arbres n’ont pas d’âge, sinon pour ceux qui les tronçonnent. Si tu retirais ce qui encombre tes oreilles, tu ne serais plus aussi sourd. Si tu cessais d’attendre en tailleur l’amour. Le soleil tape sans précaution aucune, la faim hésite.
           Mais pour guérir il faut ne pas manger. Pour ne pas manger il suffit de rester couché. Pour rester couché sans manger il faut vivre seul, et le lit est pourtant un champ de bataille. Binh-Dû ignore ce qu’il dirait si tout un patrimoine de métaphores n’engluait le langage commun. Quand un cheval avance dans la forêt, les naseaux frémissants au-dessus de l’humus, un soldat suit à pied – ou une jument précédait. Tu n’es ni un homme-cheval ni un homme sans cheval. Tu retiens ta hâte avec ta tristesse. Et si pour changer, vite tu guérissais ?

vendredi 22 novembre 2019

22 février


           Avec des peut-être on y sera encore demain. Et l’on continuera indéfiniment de décliner l’offre d’un baiser, Je ne veux pas te rendre malade. On se rendra malade à se défendre de soi, va-t-en, va-t’en, et l’on ressemblera de plus en plus à un fantôme dans un drap frais de la veille mais non repassé (il tombe avec des plis pas nets), déjà trempé de sueur.
           Les ajustements sont compliqués en dépit des apparences, il faut déjà parvenir à esquisser un sourire. Pas indispensable, mais préférable, cela met dans de bonnes dispositions. Surtout, il ne faut pas esquiver le regard. Comment faire, quand il se passe toujours quelque chose à l’arrière-plan ? Une menace potentielle, une meilleure offre ? Un horizon.
           Une ligne de fuite. Tu te laissais tomber sur tes genoux croûtés, d’une pichenette tu envoyais une agate sur la plaque d’égout, au plus près du calot convoité. Tu te relèves, Saisis ton vœu ! hurle une voix synthétique à tes oreilles. Oh, qu’on te laisse tranquille, défunt, ectoplasme. À chaque jour suffit son remugle, ah ! Peut-être guérira-t-on de l’imminence.

jeudi 21 novembre 2019

21 février


           La fièvre se réveille tous les soirs, et au matin elle est encore là. Presque inchangée. Elle mordille les oreilles de l’intérieur. Elle coupe la faim de la glotte, et la soif peut attendre, la soif s’écoule à contre-sens tel un fleuve remontant les montagnes. La fièvre intime de tenir sa position, quelle qu’elle soit, le jour c’est debout. Couché, assis. La fièvre aussi est un chien.
           On est tenté de lui jeter des cailloux, il sent mauvais. Sa gueule ouverte qui n’en finit pas de haleter, qui ouvre directement sur l’estomac. Plutôt regarder le ciel ou s’il n’y a pas de ciel sa lumière, paupières baissées, et se balancer dans le hamac comme dodelinent les feuilles du palmier. L’heure est tropicale, Vous pouvez arrêter de percer du béton, à côté ?!
           On ne s’entend plus rêver, ça confine au délire. Boire c’est franchir des rapides, tu échoues sur la grève. Tu secoues tes cheveux le temps d’un fugitif arc-en-ciel. Tu reprends ton souffle. Quelque chose te pique la cuisse, c’est une plante grimpante, sale bête, lâche, mais lâche ! Tu la serres par le cou. Elle résiste, se débat. Peut-être n’est-ce qu’un remord en plastique.

mercredi 20 novembre 2019

20 février


           Est-ce que tu grooves ? Comment fais-tu pour ne pas, es-tu sourd ? Même le type sur sa chaise tressaute, à deux doigts de se lever. Sa jambe bat le rythme. Près des surgelés, un homme triste passe d’un pied sur l’autre, mine de rien, ses gestes sont synchronisés.
           Comment dansait le monde avant que ne naisse la soul music ? Même dans les sociétés primitives, on n’avait pas de cette joie-là. On en avait d’autres, et du désir aussi, et de l’avidité, mais cette âme-là, surgie de quelles profondeurs, où attendait-elle ?
           Il faudrait se lever chaque matin avec Otis Reding. Sentir l’âme revenir dans le corps et mouvoir les membres comme un étirement, se sentir plante appelée par le soleil et la pluie, animal en quête d’aventures nécessaires et superflues, homme ou femme verticaux.
           Try a little tenderness, pour changer. Ce serait un profond rapport au monde, et on la hurlerait cette tendresse, on la trépignerait, et on la prolongerait d’une mélancolie si douce, en alternance. Voudrais-tu ? Est-ce que tu m’accompagnes ?