lundi 27 avril 2020

les averses multiplient les arc-en-ciels


27 avril

Les averses se succèdent, multipliant les arcs-en-ciel. L’origine de ceux-ci est un leurre par définition, Regarde depuis ta fenêtre, lance Binh-Dû au téléphone, il doit être planté dans le jardin ! – et leur destination. Mais peu importe, du moment que se manifeste l’attention. Les cerises sont encore vertes, un sportif étire ses muscles à la rupture sous le regard goguenard de deux buveurs de bière. Binh-Dû s’essaie à lister les qualités de sa prochaine amoureuse – d’abord ce sera une évidence réciproque. Elle n’aura pas besoin de présenter toute la palette d’un arc-en-ciel. Il n’aura plus besoin de se prétendre aussi terne qu’une photographie sépia.
Elle voit l’arc-en-ciel elle aussi, par extraordinaire, mais il n’est pas dans son jardin – ce n’est donc pas le même. Un chat hésite à mouiller ses pattes sur le toit. Sous le porche, les drogués rabattent leur capuche, ils s’expriment en phrases courtes mais lentes. Au contraire de la rédactrice publicitaire qui jette son parapluie disloqué dans une poubelle transparente tout en poursuivant une discussion téléphonique avec son stagiaire souffre-douleurs, Tu te débrouilles, tu vas me trouver ça sur une banque d’images ! Dans un magazine ou sur une page web exclamative on admirera un faux ciel étoilé dont aucune lumière n’aura mis des années à nous atteindre.

dimanche 26 avril 2020

tu savais qu'il y avait de vraies filles au-dehors ?


26 avril

- Quand j’avais vingt ans, mon fantasme était de passer une nuit tout seul dans un sex-shop.
- Tu étais au courant qu’il y avait de vraies filles à l’extérieur ?
- Je ne connaissais pas grand-chose non plus à la pornographie.
- Moi j’aurais aimé me laisser enfermer toute une nuit dans un musée, avec mon amoureux.
- Cette nuit j’ai rêvé que j’étais dans un supermarché et que je ne parvenais pas à choisir parmi les avocats tant ils étaient tous parfaitement à point.
- Je ne sais jamais s’il faut les renifler pour savoir, moi je ne sens rien. Et je ne me souviens jamais de mes rêves, à croire que je ne rêve pas vraiment.
- Je me souviens d’un film qui se déroulait dans une ferme d’avocatiers, on nous apprenait que c’était un fruit et qu’il avait des vertus aphrodisiaques.
- Ce n’est pas comme si je n’avais pas de fantasmes. Et toi, tu en as depuis que tu n’as plus vingt ans ? Tu fais des rêves érotiques ? Je suis dedans ?
- Quand je serai un vieillard je réclamerai qu’on me donne du guacamole, à la petite cuillère.
- Je peux te donner mieux en attendant. Mais d’abord je vais faire pipi, tu m’attends ?
- Soit je régresse, soit je sublime.
- Je ne t’entends plus !

samedi 25 avril 2020

tu vois les soldats nonchalants, leur fusil au repos


25 avril

Tu vois les soldats pénétrer sur le quai, nonchalants, leur fusil-mitrailleur orienté en légère diagonale descendante. Leur gilet pare-balles muni de multiples poches, leur baggy de camouflage, leur béret blindé couleur cassis écrasé. Car il est blindé, non, ou alors ce sont des casques qu’ils portaient, et ils étaient d’une autre couleur ? Tu les vois mais tu ne les regardes pas vraiment, tu es envahi d’une bouffée d’anxiété haineuse envers les porteurs de mort qu’on envoie se promener dans la ville pour nous protéger. Colère contre cette modernité politique si rétrograde, fallacieuse et vaine. Tellement que tu ne vois pas l’amie que tu étais venu attendre à sa descente du train, il faut qu’elle s’interpose et te sourie. Les soldats, je leur envoie de l’amour, et cela ne m’affecte plus du tout, te recommande-t-elle.
Ce qui change, c’est la dimension du désir que tu inspires. On est toujours étranger aux reconfigurations qui s’opèrent chez les autres, tu dois l’accepter, tu ne voudrais pas que quiconque se charge de changer tes meubles de place pour marquer l'arrivée du printemps. Ce sont tes accommodements, c’est toi qui dois vivre ici. Tant que tu vis seul. La différence, quand tu étais enfant, tenait dans ta méconnaissance. Tu n’avais pas de vision d’ensemble, tu partais de l’observation des dessins sur le tapis, du dessous d’une table, d’un caillou ramassé par terre, d’une croûte de sang séché sur ton genou. Ton paradis se cantonnait à ta hauteur de vue. Ainsi les pollutions du monde t’apparaissaient, sinon esthétiques, du moins ludiques. À présent tu rigoles moins ; ton sens de la beauté te tue à petit feu.

vendredi 24 avril 2020

vous avez pris votre petit-déjeuner ?


24 avril

- Vous avez pris un petit-déjeuner ?
- Il y avait un stand sur le parking. J’ai dansé sous les balles et gagné une bactérie.
- Très bien alors.
- La femme que j’aimais m’a pointé du doigt avant de tirer, elle riait.
- Excellent.
- Ensuite j’ai vu qu’un gamin avait ramassé une de mes chaussures.
- Bel esprit d’initiative.
- Ça lui faisait un pied beaucoup trop grand.
- À cet âge, on pousse vite !
- À l’école on leur a appris le sida et l’accouchement, même aux garçons.
- C’est la modernité.
- Et puis ils ont lâché des oiseaux pour voir s’ils retombaient, c’était une expérience en lien avec la recherche spatiale si j’ai bien compris.
- Ces choses-là sont secret-défense, vous feriez mieux de vous en tenir à distance.
- Et pour finir j’ai retrouvé mes clefs.
- Alors tout est bien qui finit bien, remettez-vous au travail.

jeudi 23 avril 2020

nous aurions besoin de douceur


 23 avril

Nous aurions besoin de douceur. Entre les dalles du pavage, de petits amas de terre révèlent l’activité secrète d’insectes urbains. Ils grattent la terre en profondeur, l’ingèrent, l’expulsent, ils creusent des galeries au-dessus du métro. Ils esquissent un paysage que les pieds des passants évitent comme s’il était sale.
Tu connaissais les recoins, les accidents de terrain, les crépis émiettés, la rouille des balustrades. Tu voyais grand, étant petit. Ce qui te distingue des enfants, en premier lieu c’est la taille que tu as acquise. C’est aussi la première chose qu’ils voient de toi, ce que tu es devenu. Mais le terrain de jeu est intact.
La laideur même n’entre pas en ligne de compte, ni les balafres infligées à la beauté du monde, ni l’extension de sa toxicité, ni même ses extensions aseptisées. Pour celui qui naît la vie est neuve, elle est merveilleuse. Ce qui a changé c’est la dimension de ton désir, seulement cela, et ton acuité conceptuelle. Es-tu aimé ?