25 avril
Tu vois les soldats pénétrer sur le
quai, nonchalants, leur fusil-mitrailleur orienté en légère diagonale
descendante. Leur gilet pare-balles muni de multiples poches, leur baggy de
camouflage, leur béret blindé couleur cassis écrasé. Car il est blindé, non, ou
alors ce sont des casques qu’ils portaient, et ils étaient d’une autre
couleur ? Tu les vois mais tu ne les regardes pas vraiment, tu es envahi
d’une bouffée d’anxiété haineuse envers les porteurs de mort qu’on envoie se
promener dans la ville pour nous protéger. Colère contre cette modernité
politique si rétrograde, fallacieuse et vaine. Tellement que tu ne
vois pas l’amie que tu étais venu attendre à sa descente du train, il
faut qu’elle s’interpose et te sourie. Les soldats, je leur envoie de l’amour,
et cela ne m’affecte plus du tout, te recommande-t-elle.
Ce qui change, c’est la dimension
du désir que tu inspires. On est toujours étranger aux reconfigurations qui
s’opèrent chez les autres, tu dois l’accepter, tu ne voudrais pas que quiconque
se charge de changer tes meubles de place pour marquer l'arrivée du printemps. Ce sont tes accommodements, c’est toi qui dois vivre ici. Tant que tu vis seul. La différence,
quand tu étais enfant, tenait dans ta méconnaissance. Tu n’avais pas de vision
d’ensemble, tu partais de l’observation des dessins sur le tapis, du dessous
d’une table, d’un caillou ramassé par terre, d’une croûte de sang séché sur ton
genou. Ton paradis se cantonnait à ta hauteur de vue. Ainsi les pollutions du
monde t’apparaissaient, sinon esthétiques, du moins ludiques. À présent tu
rigoles moins ; ton sens de la beauté te tue à petit feu.