"Puisque la Terre est ronde, nous sommes toujours sur sa pente, et roulant vers l’abîme."
jeudi 15 octobre 2020
Vivaces #28
"Puisque la Terre est ronde, nous sommes toujours sur sa pente, et roulant vers l’abîme."
lundi 12 octobre 2020
Attentives #13
Comme le plan du métro de Londres, dis-je.
Il n’indique jamais, enchaîna Zafar, où sur la terre se trouve telle station. En un sens, ce n’est pas du tout un plan mais un schéma ; une représentation non pas topographique mais topologique (…)
La perte d’information et de compréhension que tout acte de représentation entraîne est l’effet d’un acte de destruction qui répond à un besoin. Il semble peut-être que nous ayons fait un pas en avant, mais en réalité nous avons fait un pas en arrière et deux pas en avant. Chaque fois que nous voulons comprendre quelque chose, nous devons simplifier, réduire et, en outre, renoncer au projet de comprendre en totalité, afin qu’il soit possible de comprendre un tant soit peu. Cela est vrai, je pense, de toute entreprise humaine.
Zia Haider Rahman (in A la lumière de ce que nous savons)
(1931)
(2012 - désigné par Maxwell Roberts)
samedi 10 octobre 2020
Narcissus contrariata (20)
Ou peut-être qu’il se contenterait de regarder passer le temps dans quelque trou perdu, bien évidemment il aurait donné sa démission. Plus d’histoire pour lui, finie la supercherie. Il s’intéresserait aux animaux, leur faible conscience d’eux-mêmes, la fourrure du lapin qui vire du brun au blanc durant l’hiver. L’horizon sans surprise des saisons. Cette pensée le rassérénait. Dans sa cabane il cesserait de s’informer sur le climat détraqué, il chasserait sans scrupule le lapin blanc. Il se noircirait les pommettes au charbon de bois et à l’huile de phoque pour se protéger les yeux de la réverbération du soleil. Il laisserait pousser sa barbe. Il aurait de moins en moins figure humaine, à la fin il ne ressemblerait plus à rien.
Jumien reconnut le pas de Sylvelle dans l’escalier. Il se releva d’un bond ; il se précipita dans le couloir, enfila ses chaussures, et alors qu’elle ouvrait la porte d’entrée il s’échappa sans demander son reste.
vendredi 9 octobre 2020
Narcissus contrariata (19)
jeudi 8 octobre 2020
Narcissus contrariata (18)
mercredi 7 octobre 2020
Narcissus contrariata (17)
Pendant un instant rien ne se passa, rien de plus qu’un échange de regards circonspects, l’échange d’un seul regard. On aurait dit que tout était normal, hormis l’anxiété perceptible dans cette pièce étroite, sans échappatoire. Puis Jumien sentit un léger tic relever le coin gauche de sa bouche… et tout se détraqua à nouveau. Il ouvrit grand la bouche pour respirer, il implora une stabilité qu’il était le premier incapable de tenir, il émit un son misérable qui se répercuta contre les murs carrelés : ce visage en face de lui était impossible. Jumien ne pouvait en détacher ses yeux cependant, fasciné, horrifié, affligé par une parodie de lui-même qui tout en étant autre paraissait non moins affligée, horrifiée, fascinée. Il n’osa pas lever un bras, c’était déjà suffisamment pénible, même à peu près immobile ce Jumien bougeait en dépit du bon sens. Son visage grotesque révélait l’envers de celui qu’il avait cru être depuis toujours, c’était d’une impudeur insoutenable bien que sans autre témoin que soi. Une fracture catastrophique de la connaissance que Jumien avait de lui-même. Que restait-il à comprendre après ça ? Quoi rassembler, comment réparer les morceaux ? Qui pouvait-il continuer à être désormais ?
mardi 6 octobre 2020
Narcissus contrariata (16)
Elles étaient dispersées dans des placards, des tiroirs, des chemises. Sur l’ordinateur bien évidemment, mais il préférait éviter les écrans réfléchissants. Le temps d’en avoir le cœur net : son grain de beauté était apparu à l’adolescence, là, sur la joue gauche. Lors de l’anniversaire de ses dix-huit ans, il s’apprêtait à souffler les bougies. Il avait l’air si jeune, si vulnérable... Si peu armé pour affronter le monde. Pas très malin non plus... Mais le grain de beauté était à gauche, c’était une preuve ! À moins que les photographies les plus innocentes ne soient truquées elles aussi ? Soudain Jumien ne savait plus, est-ce qu’une photographie inversait la réalité comme un miroir ? Y avait-il un correcteur d’inversion ? Il laissa retomber la photo, découragé. C’était sa mère qui l’avait prise. Il y avait peu de photos de Sylvelle et de lui. Des centaines de Sylvelle, contenues ailleurs – dans le disque dur de l’ordinateur. Ils ne demandaient pas qu’on les photographie ensemble. Ils ne faisaient pas de selfies. C’était une preuve aussi, par l’absence, mais une preuve de quoi ? Il appréciait qu’elle ne soit pas jeune au point de faire des selfies mais il se sentait vieux avec son réflex qui ne faisait pas téléphone. Qu’est-ce que cela disait de leur relation ? Ils n’avaient pas besoin de photos d’eux ensemble. Il avait besoin d’elle, oh comme il en avait besoin ! C’était une évidence, pire : une urgence. Où était-elle ? Fallait-il l’attendre ?