8 septembre
vendredi 8 mars 2024
jeudi 7 mars 2024
Rhizomiques #179
- Écoute, écoute donc ce que tu dis. Si tu entendais quelqu’un dire ça, ta sœur ou notre fille, que lui dirais-tu ? Tu lui dirais de se faire aider. D’aller voir quelqu’un.
- Ou peut-être que je les écouterais. Peut-être que je me demanderais s’il y a une quelconque réalité dans ce qu’elles disent.
& Paolo Giordano (in Tasmania)
& (Becky Manawatu (in Auē)
& Éric Chevillard (in L’autofictif)
mardi 27 février 2024
Attentives #34
Si je voulais être une bonne mère (et j’y tiens !), que servirais-je demain matin à mon cher enfant pour son petit-déjeuner ? Je lui donnerais ce qu’il y a de meilleur pour lui : une copieuse assiette d’œufs brouillés et de bacon. Le traditionnel breakfast que les mamans américaines préparent pour leurs rejetons. Hautement recommandé pour leur croissance et leur santé. C’est l’évidence.
Mais traditionnel depuis quand ? depuis des siècles ? depuis toujours ? Non. Depuis qu’un groupe alimentaire, la Beech-Nut Packing Company, s’est retrouvé face à des tonnes de bacon à fourguer et s’est adressé à un homme du nom d’Edward Bernays pour chercher le moyen d’en augmenter les ventes.
Et recommandé par qui ? Par quelques nutritionnistes auprès desquels Bernays a eu l’ingéniosité de réaliser une pseudo-étude, légèrement biaisée, qu’il s’est empressé de faire publier dans les journaux et d’envoyer à des milliers de médecins de famille, dans tout le pays, lesquels ont à leur tour passé le mot à leurs nombreux patients. Ce n’est pas de la publicité, c’est de la science. C’est prouvé et approuvé par des experts. C’est l’autorité qui parle. Et ainsi, en quelques mois, les habitudes alimentaires ont changé.
(…)
En 1929, Bernays fut engagé par l’American Tobacco Company afin de résoudre un de leurs problèmes : cette convention sociale qui empêchait les femmes de fumer faisait perdre aux marchands de tabac un énorme marché potentiel (la moitié de la population). Comment y remédier ? Eddy a eu une idée de génie. Mise en scène : lors de la grande parade de Pâques, à New York, il paie un groupe de suffragettes pour qu’elles cachent un paquet de cigarettes sous leurs jupes et le sortent, toutes ensemble, ostensiblement, au milieu de la foule et au moment opportun. Les photographes, prévenus, seront là pour immortaliser ce geste, ô combien symbolique. Car, attention, ce ne sont pas des cigarettes que ces jeunes femmes enflamment, ce sont les "torches de la liberté" (expression que Bernays leur a dictée au préalable). Dès le lendemain, l’image et le slogan font la une des quotidiens. C’est gagné. Le magicien a transformé une vulgaire opération commerciale en acte de rébellion, en acte de libération féministe. (…)
- Très habile, ce Bernays.
Peu connu du grand public, mais un des hommes les plus puissants du XXème siècle. De ceux qui font bouger les choses, comme tu as pu t’en rendre compte à travers ces deux exemples concrets. On connaît mieux son oncle, Sigmund Freud, dont les travaux sur l’inconscient l’ont fortement inspiré. (…)
Edward Bernays a compris comment mener les foules. Comment les faire aller là où il veut, ou, plus exactement, là où ses clients (ceux qui le rémunèrent grassement à cette fin) le souhaitent. (…) Dans son essai Propagande, il explique les principes et mécanismes qu’il a mis au point et qui permettent, au fond, de tout vendre au plus grand nombre : du parfum, du savon, des cigarettes, des voitures, des présidents, la guerre, la paix, le bonheur, la démocratie, la tyrannie – absolument tout. L’un de ses plus fervents lecteurs s’appelle Joseph Goebbels, qui saura remarquablement mettre en pratique ses théories afin d’éduquer le peuple allemand.
Cependant, Edward Bernays a aussi très vite et très bien compris que "propagande" était un vilain mot. Il lui substitue donc les termes plus policés de "relations publiques" et invente dans la foulée le métier qui va avec : "conseiller en relations publiques".
Grand promoteur de la démocratie, le conseiller Bernays n’aura de cesse, tout au long de sa prolifique carrière, d’y associer les valeurs et vertus du capitalisme, auxquelles il réussit à faire adhérer pleinement les Américains, en même temps qu’il leur inculque la haine du communisme.
Marcus Malte (in Qui se souviendra de Phily-Jo ?)
jeudi 22 février 2024
Rhizomiques #178
Et je me suis alors senti brûlant d’une haine que j’ai eu du mal à réprimer.
& Joyce Carol Oates (in Cardiff près de la mer)
& Ian McEwan (in Leçons)
mercredi 21 février 2024
A contre-saison #16
21 août
"Le lendemain matin, dans l’intimité de ma chambre, j’ai mangé l’un des pétales, j’en ai glissé un autre dans mon soutien-gorge, et j’ai mis le reste de la rose dans un vase, où je l’ai examinée comme une icône les jours suivants, tentant d’extraire l’amour des lambeaux de ce protoplasme."
Jean Hegland (in Dans la forêt)
lundi 19 février 2024
Rhizomiques #177
Prise au dépourvu, je cherche mentalement le numéro de ma Peugeot.
- ISA 35.
- Oui, c’est bien ça, dis-je.
Je rentre dans la maison et j’enlève mon bleu de travail.
- Ça aurait été très différent si votre numéro avait été LUC 21 puisqu’il aurait alors renvoyé à l’Apocalypse, ajoute-t-il.
Je l’entends au téléphone qui feuillette des documents et, en attendant qu’il trouve le passage correspondant de l’Évangile de Luc, j’ouvre le réfrigérateur pour en sortir du beurre et du fromage.
& Mia Couto (in Les sables de l’empereur)
& Joyce Carol Oates (in Au bord du fleuve)
mercredi 14 février 2024
Rhizomiques #176
(…)
Je leur ai donc dit que le récit de Job était très bien, que je trouvais parfait que le martyr ait été récompensé aussi généreusement, mais si le récit résolvait le problème de Job, il n’expliquait pas pourquoi il y avait de la souffrance dans le monde sans aucune justification, ni pourquoi tant de personnes souffrantes mouraient sans récompense.
Dona Mariline a expliqué : « Celui qui est patient et qui remet sa douleur à Dieu, s’il n’est pas récompensé dans cette vie le sera dans l’autre. » J’ai alors répondu que le récit était mal terminé, parce que Job, pour servir d’exemple complet, pour se rapprocher de nous tous, aurait dû être récompensé seulement dans l’autre vie, et non pas dans celle-ci. Et j’ai dit plus, j’ai dévisagé les veuves et je leur ai assuré que moi, tout comme Job, ce que je voulais c’était parler directement à Dieu, et lui demander pourquoi il permettait à Satan de parier sur les êtres humains. De quel droit, sur notre tête, si fragile, si naïve, si proche du crâne des pauvres animaux irrationnels, Dieu se permet-Il de parier sur chacun de nous ? Par hasard nous sommes fils de Dieu ou seulement esclaves de l’amour que nous Lui devons ? ai-je demandé, affrontant les huit yeux qui me scrutaient, très étonnés. L’une d’elle, pas la meneuse, a dit : « Mes bras ont la chair de poule parce que vous dites des hérésies. »
- Que veux-tu que je te lise ? ai-je demandé.
- Juste le passage où tu es arrivé.
J’en étais au Livre de Job donc j’ai lu ce qui est dit de Job, l’intègre et le juste, le pieux et consciencieux, qui a été enchaîné et torturé par les cordes de la souffrance.
- Merci, dit-elle tout bas, et il m’a semblé percevoir un tremblement dans sa voix.
Puis je l’entendis murmurer : Je le savais, tout en secouant les oreillers entre nous avant de me tourner le dos. J’ai regardé sa belle épaule arrondie sous la chemise de nuit. Si j’en avais été au Cantique des cantiques et que j’avais lu tes seins sont comme le raisin, je serais peut-être encore un homme marié.
& Lídia Jorge (in Misericordia)
& Éric Chevillard (extrait de L’autofictif du 4/02/24)
& Audur Ava Ólafsdóttir (in Ōr)