dimanche 14 octobre 2018

14 octobre

« Tu ne peux pas tout préférer », conteste la mère d'un petit garçon qui s'extasiait devant un rocher – c'était son préféré – puis un autre – son préféré – et encore un autre. Et pourquoi pas, si à chaque instant succède un instant neuf ? Il y a tant de soleil qu'il aveugle en reflets ceux qui se risquent sur la mer. Un goéland brun gît dans le caniveau, une aile retournée, son sang coagulé vire au vert. Une étoile de mer s'assèche sur la jetée, comme une indication trahie. Plus loin un marin solitaire mâche un sandwiche. L'aigrette pousse un cri déchirant, on croirait qu'un chat s'est fourvoyé au sommet d'un arbre et ne sait comment en redescendre, mais elle finit par trouver une solution puisque la voilà qui traverse le ciel, de ses pattes quelques gouttes de vase retournent à l'estuaire. Les feuilles de chênes forment tapis superposés, du coccinea au robur en passant par le pubescens. Chacun est préférable, de même le gland à la châtaigne et la châtaigne au gland. Et la carotte ? La carotte se brosse dans le sens du poil, que Binh-Dû finira par arracher en la débarrassant de son humus natal. Mais cela, ce sera plus tard. Bien après le concert des tondeuses à gazon qui se répandent en vrombissements saturés d'un jardin à l'autre, sautant allègrement les haies qui les séparent.

samedi 13 octobre 2018

13 octobre

La brume semble ne vouloir s'effacer que pour réapparaître peu après, pressentiment de l'ultime nuage qui obscurcira définitivement l'avenir ? Au matin les cloches à viennoiseries reflétaient le ciel, elles-mêmes sous la cloche de la véranda vitrée, et une dizaine de saveurs caféinées se mêlaient aux alentours de la fontaine d'intérieur. Binh-Dû se serait bien allongé sur une méridienne, tel un Romain décadent. Au marché les poussins ont grandi depuis le temps, et leurs os broyés ont rejoint la terre, participant peut-être aux courbes parfaites de la courge et du potiron. Selon certaines théories il ne faudrait plus se souvenir des poussins de l'innocence, ni mettre ses pas dans les pas de celui qu'on était. La vue était semblable et les fragrances marines, c'était à cet endroit précis de la corniche que, vingt-et-un an plutôt, une cycliste freina – mais c'est alors que le téléphone émet une sonnerie déclenchée par icelle, où est l'anachronisme ? La non-linéarité est-elle toxique à l'existence ou situe-t-elle un lieu de sagesse approfondie ? Quelques regards aimés se sont portés vers l’horizon pour mieux retourner aux yeux de Binh-Dû ou pour partir ailleurs, les liens superposés accentuent du cœur l’insistance évanescente.

vendredi 12 octobre 2018

12 octobre

Il y a de la mayo dans le vase d'expansion. Texto. Comment s'étonner que les voitures pondent des œufs quand au matin la tondeuse à gazon du lotissement se transforme en avion de chasse ? Binh-Dû finit par se réveiller d'un coup de poignard dans le dos, en contrepartie la pelouse est parfaitement égalisée. Aïe, ça fait mal, qu'a-t-il fait pour mériter ça, quelle guerre inique a-t-il déclenchée ? La courroie de distribution devra elle aussi être remplacée. Pour le jeu de vertèbres, la réparation est la seule option avant la casse, aucun rayon au magasin à côté de celui des joints de culasse. Tout est affaire de confiance, Binh-Dû ricane. Bien incapable de discerner ce qui ressort de la compensation et ce qui tiendrait plus justement d'un impérieux accomplissement de l'être. Au diable les numérotations, plutôt couper les liens toxiques – ou apprécier la grisaille du ciel et la verdure des plages pour ce qu'ils sont, ce que verrait un enfant. Dans la forêt, Binh-Dû tout vêtu de noir suit une promeneuse toute de blanc vêtue, d’une même impulsion retirent leur polo, formant damier à quatre cases (tee-shirt noir pour elle, clair pour lui), puis s'en retournent, Binh-Dû devant. On n'est pas loin d'un échange.

jeudi 11 octobre 2018

11 octobre

Et l'océan est toujours en place. Première infusion d'air atlantique, le dos de Binh-Dû le lance au matin sur le sentier côtier, poussé par le vent. Mais comme il s'agit aussi de revenir, la chance tourne. Sur le parking, ce qui tirait sur la gauche se révèle pneu dégonflé. Il faut s'asseoir sans rien blesser, suspendre la crispation des lombaires, relâcher au havre du garage.

Le traumatisme commence à se soigner en quatre tours de boulons, d'abord dans le sens contraire des aiguilles, il paraît que rien n'est plus élémentaire que l'équilibre. Les routes sont jonchées de châtaignes aux bogues éclatées et de feuilles rousses, le cycle des compensations tourne à plein régime. Même si parfois le voyant d'huile s'allume, telle une douleur fantôme.

Au soir, celle-ci s'effacera devant une crêpe à l'andouille. Mais ce qu'on retiendra, outre le plaisir de retrouvailles, c'est la seconde infusion qui fut la plus sereine, entre changement de valve et vidange, zénith et crépuscule, à nouveau en prise ; ayant pris garde de ne pas écraser les patelles, s'étant excusé auprès de l'aigrette délogée de derrière son rocher.

mercredi 10 octobre 2018

10 octobre

Le lait de soja ne va pas de soi, de même qu'il n'y a pas toujours de chat dans le couffin du chat. Ou qu'un millier de dents de scie ne viennent pas à bout du thuya. Si l'existence ici-bas est absurde et demie, il y a lieu de se réjouir qu'elle ne le soit pas doublement. Tout ce qui s'écrit ne relève-t-il pas de la veille ou du lendemain ?

Cette fois est la bonne, Binh-Dû s'en va. Il peut recommencer à compter les kilomètres et à éviter les éoliennes. Leur malveillance, l'âme humaine ne saurait la supporter sans dommage. Le répit est encore course contre la montre, dans une forêt tranchée. Vision avalée, simplicité de la ligne droite, aperçus d'un ciel autrefois refuge immémorial.

Heureusement le déport est une illusion confirmée. L'avenir ne serait pas déjà à jeter dans la fosse de ce qui fut irrémédiablement détruit. On peut sourire de soulagement. Qu'est-ce qui est le plus amusant ? Sentir qu'on progresse en équilibre entre anciennes et neuves connaissances. La mer brise en paix, les haubans battent une berceuse, toutes les lumières s'éteignent.

mardi 9 octobre 2018

9 octobre

Dans ces conditions, lundi peut s'envisager comme un jour prolongeant le dimanche. En harmonie, sans rupture de rythme. Voilà déjà midi qui passe, et la décision de remettre au mardi un réveil plus matinal. Tout est justifiable. Vers la fin de la journée le périphérique ralentit puis se bouche, à ne pas mettre une roue dehors. Les estomacs réclament.

Les enfants, les épousé(e)s servent à déporter l'angoisse existentielle hors de soi - l'autre sert à donner ce qu'on refuserait de s'accorder. Certes, l'autre sert aussi à obtenir ce qu'il nous semblerait devoir voler sinon. La possession a un coût. Au moins Binh-Dû prendrait la tangente s'il parvenait à emprunter, le temps d'un élan, la dynamique d'un flux.

Sur les photos il apparaît si fatigué. Cent pour cent polyester, les ravages se mesurent au nombre de bouloches. Il y a de mauvais plis sur sa chemise, également. Un relent pas très net. C'était l'été, on pelait les cœurs d'artichaut, à présent ce sont les feuilles qui tombent, et les heures, ces dernières égrainant dans la nuit voilée le jour suivant.

lundi 8 octobre 2018

8 octobre

Ses chaussettes, Binh-Dû se prend les pieds dedans, il aurait mieux fait d’aller se recoucher. Contre un montant du lit se cogne et trébuche. Ensuite, il ne sait plus. Sans doute a-t-il rêvé. « C’est ainsi que tu me quittes ? » pleurnichait-il, aussi peu séduisant que possible et sans doute était-ce le but. Devenir responsable de ce que l’on subit, donner du sens malin à son échec. Il aurait aimé toutefois obtenir une réponse mais il n’y avait personne.
Certains visages défaits ne seront jamais observés que dans des miroirs, et encore, très vite on détournera les yeux. Même, le remède miraculeux consiste parfois à élever d’un cran le mal – car à quoi bon souffrir médiocrement ? Le mal n’est pas si mal, pas nécessairement, qu’on pense à une poignée de céréales flottant dans un bol de lait de soja à peine périmé.
Et une cuillerée de miel par-dessus. Qu’on pense au plaisir éprouvé à écraser un insecte vrombissant ayant eu l’aplomb de se poser sur le dos de notre main, et l’ouvrier à la perceuse matinale on lui ferait bien passer le goût de vriller nos rêves (si désolés soient-ils). Binh-Dû se réveille chez lui, il aurait pu (en) être autrement mais on ne sait jamais à quoi s’en tenir avec ces pronoms, c’est comme de dire « il pleut ».