dimanche 21 octobre 2018

21 octobre

Les ouragans tentent de remettre de l’ordre sur cette planète sclérosée. Y parviendront-ils ? Les tempêtes sont des chats furieux.

Certains jours se lèvent dans l’avidité, jamais assez grasse ne sera la matinée. Tandis que dans la pièce contiguë l’objectif est de repousser les limites humaines de la capacité de travail, apercevoir les vingt-quatre heures par jour. C’est toujours une question de réconfort et de compensation, d’ailleurs les deux chambres sont jumelles. Ainsi le pressentiment du désastre.

La mer est verte quand le soleil en décide. La pluie s’abat d’un coup puis remonte – tant de vent ! Binh-Dû enfile son poncho à l’envers, perd la piste d’un arc-en-ciel stratosphérique, oublie que la mer monte. Les vagues en rouleaux sont des géants voûtés qui courent si vite qu’ils s’étalent, manquant d’écraser une nuée de chevaliers gambette.

Binh-Dû vide sa chaussure, essore sa chaussette. Plus tard, le chat lui mordra le pied, remuant sous le drap telle une souris.

samedi 20 octobre 2018

20 octobre

Malgré une nuit passée à pleurer de douleur, les joues sont sèches comme la veille. C’est donc qu’il n’y a pas eu de mal ? Un baiser détecterait le savon plutôt que du sel.

Du reste, les vagues n’attendent pas. Quoique Binh-Dû attende la vague, en méditation féline. Bâillera-t-il à s’en décrocher la mâchoire ?

A l'intérieur des terres, les crêpes vont par cinq et l'on ne pleure pas le beurre ; les poules tombées du camion n’échappent pas toutes à la gueule du renard ; le bouc retrousse sa lippe dans le champ de maïs mais ne sait tourner que dans un sens autour du châtaignier, empêtré dans sa longe. Coup de corne au chien pour l’oreille déchirée.

Dans la maison de l’amie partie, il serait bien capable de décoller tout le moche papier peint, en prélude aux gros travaux, bravo le chat, continue !

Sa frénésie imite le ballet incessant des vagues – ou est-ce le contraire ? Est-ce la même énergie ? Binh-Dû se laisse happer par la régularité fougueuse.

vendredi 19 octobre 2018

19 octobre

Elle part en mission, l’amie de Binh-Dû, il regarde sa voiture quitter le parking, après un dernier signe de la main. Dans l’appartement règnent le silence et la solitude soudains. L’évier contient les fragments d’un saladier éclaté dont le verre bleuté a définitivement filé hors de sa tension glorieuse. C’est infiniment triste, c’est toujours ça de moins à laver, c’est un cœur qui s’éloigne. Le vent souffle en tempête derrière les fenêtres. Des pas précipités arpentent le paradis des joies enfantines - une petite fille court au plafond dans les déferlements assourdis de ses propres rires. Quant au chat, il se love sur le canapé, c’est si simple de lui dire « Je t’aime », se réjouissait l’amie. En effet toute l’affaire est plus compliquée entre êtres humains, acquiesçait, sentencieux, Binh-Dû. Qui dans le silence et la solitude se met en mode « chat », attendant que l’autre vienne chercher un peu de contact humain. (Mais sait-on bien lequel des deux est l’autre ?) Au soir, quand la pluie cesse la tempête persiste, les algues volent par-dessus le muret. L’amie de Binh-Dû rêve aussi de cataclysme et ce serait joyeux.

jeudi 18 octobre 2018

18 octobre

Où voudrais-tu aller si tu en avais le loisir ? demande Binh-Dû, et son amie ouvrant son ordi lui répond que c’est un jour à se promener sur les plages. Être celui qui a le loisir, ce statut contient un aspect de cruauté. Le ciel est traversé de hauts nuages élégamment formés, le soleil brille, la brise caresse, Binh-Dû marche sur la plage. Il balance les bras, son amie lui dirait de se calmer un peu. Il s’assied pour regarder la mer monter. Son amie serait allée se baigner. Binh-Dû garde ses chaussures, l’an passé à la même époque il avait contracté une tendinite. Son amie est sans doute encore en train de travailler, Binh-Dû observe la plage par procuration, il aimerait trouver un coquillage à offrir. L’océan tarde à lécher ses semelles... S’asseoir, c’est fixer l’image, l’œil n’a pas le temps d’accommoder quand le corps est en mouvement. Il faudrait évoquer chaque vague et ses franges d’écume (ce n’est pas indispensable). Le jour décroît à l’intérieur des terres.  La fenêtre d’un deuxième étage est fermée, d’où une gamine au matin a sifflé « Beau gosse ! » à l’attention de Binh-Dû avant que son frère ne lance « P’tite bite ! » Pourquoi n’être que ce que les autres voudraient qu’on soit ? L’amie de Binh-Dû envoie un dernier mail professionnel avant de clore sa session.

mercredi 17 octobre 2018

17 octobre

Se détordre, d’accord, mais dans quel sens ? Binh-Dû ne sort pas de son ombre (à défaut de se voir de dos), quelle omoplate pointe vers le haut et laquelle est-ce qui tire vers le bas ? Heureusement qu’il n’en a que deux. Et seulement une jambe plus courte que l’autre – eurêka ! Ainsi c’est décidé, il patinera dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. En cas d’erreur, il aura accéléré sa vrille, pour autant les châtaignes continueront de chuter autour du lac, de l’ouest au sud, du sud à l’est, de l’est au nord et retour. Plein la musette. Et trois pommes en prime. Et un lapin ? Non, va-t’en te cacher lentement dans un fourré, le festin sera végétarien, sans nul besoin de toi. Il sera même vivant, selon l’amie de Binh-Dû qui le surpasse en hauteur de tabouret et en vitesse de décorticage. Est-ce pour cela qu’elle est plus grande, aussi ? Le tarot promet à Binh-Dû l’équilibre sur un plateau ainsi que des dauphins jaillissant dans les airs. Allongé sur le dos on sent en effet les tendons rétrécis, le chat coule un regard dédaigneux de maître yogi. Il fut un temps pourtant où le pied descendait à la bouche, et les ongles coupés étaient crachés telles des esquilles.

mardi 16 octobre 2018

16 octobre

La plage est fortement pentue, met en garde un panneau planté parmi les oyats, ce qui n'est pas pour déplaire à Binh-Dû qui espère ainsi poursuivre l'entreprise de détorsion entamée au matin sur son thorax par un kiné breton plus accablé par l'ampleur de la tâche que s'il s'agissait de couper en dés un potiron cru avec un canif. Si mon épaule droite est plus haute de deux ou trois doigts, en balançant mon épaule gauche je devrais gagner un demi-doigt ? Espère-t-il. T'en foutrais. Ce n'est pas une question d'attitude, peu importe qu'il roule les mécaniques d'un bord sur l'autre ou de l'autre bord sur l'un, les flics devisent tranquillement entre eux devant le magasin de produits régionaux. Ils ne soupçonnent pas le couteau dans la poche extérieure.

C'est égal de lancer une nage indienne par le bras droit ou gauche pour plonger dans le sommeil. Quoiqu'il fasse, Binh-Dû pâtit de son profil scoliotique, ses plis tordus tridimensionnels. Qu'y faire ? Le vent et le sable descendent avec la mer, paraissant atténuer la courbure de la plage. Le soleil suit le mouvement, jaune. A tel point qu'il disparaît complètement derrière l'horizon des arbres, sur la rive opposée de la baie. C'est l'heure du chat, qui se love d'une façon inimitable dans l'ovale de son panier, l'une de ses oreilles reste à l'affût d'un son de croquettes. Du chat, qui se relève pour imprégner nos chevilles de son attente, s'écarte de la main caresseuse. Maître du jeu, il glisse son museau, sa tête puis son corps cambré sous un repli de drap.

lundi 15 octobre 2018

15 octobre

Pour changer, les tondeuses à gazon sautent les vagues entre deux anses. Le vacarme dérange les oiseaux, surtout quand s'élève à l'arrière un jet d'eau propulsé vers le ciel. S'il était armé, Binh-Dû viserait les patins, il n’hésiterait pas malgré le risque de toucher la jambe tatouée d'un jet-skieur – car jusqu'où faudrait-il tolérer la décadence ? Jusqu'au rappel que nous sommes toujours le jet-skieur de quelqu'un, nous sommes toujours le voisin pénible qui empiète sur notre jardin. Du reste, Binh-Dû ne foule-t-il pas négligemment les glands et les châtaignes qui s'offrent sur le chemin (au lieu de collecter avec gratitude cette manne divine) ? 

De la main, tout en marchant, il caresse la tête d'un grand chien blanc qui pourrait être sien... si deux femmes derrière lui ne l'appelaient (le chien). Des femmes il y en a beaucoup, en voici deux autres qui inspectent le pneu arrière de leur voiture. Dommage, il n'est pas dégonflé (le pneu), et elles n'ont aucun besoin de Binh-Dû, lequel aurait pourtant bien des choses à dire sur la sympathie immédiate qu’inspirent certaines personnes au point qu'on serait disposé à se ruiner le dos en tentant de dévisser quatre écrous bloqués. Les femmes souvent lui sourient étonnamment. Au soir, il brosse non seulement une carotte mais des patates et un potiron.