Pour changer, les tondeuses à gazon sautent les vagues entre deux anses. Le vacarme dérange les oiseaux, surtout quand s'élève à l'arrière un jet d'eau propulsé vers le ciel. S'il était armé, Binh-Dû viserait les patins, il n’hésiterait pas malgré le risque de toucher la jambe tatouée d'un jet-skieur – car jusqu'où faudrait-il tolérer la décadence ? Jusqu'au rappel que nous sommes toujours le jet-skieur de quelqu'un, nous sommes toujours le voisin pénible qui empiète sur notre jardin. Du reste, Binh-Dû ne foule-t-il pas négligemment les glands et les châtaignes qui s'offrent sur le chemin (au lieu de collecter avec gratitude cette manne divine) ?
De la main, tout en marchant, il caresse la tête d'un grand chien blanc qui pourrait être sien... si deux femmes derrière lui ne l'appelaient (le chien). Des femmes il y en a beaucoup, en voici deux autres qui inspectent le pneu arrière de leur voiture. Dommage, il n'est pas dégonflé (le pneu), et elles n'ont aucun besoin de Binh-Dû, lequel aurait pourtant bien des choses à dire sur la sympathie immédiate qu’inspirent certaines personnes au point qu'on serait disposé à se ruiner le dos en tentant de dévisser quatre écrous bloqués. Les femmes souvent lui sourient étonnamment. Au soir, il brosse non seulement une carotte mais des patates et un potiron.