... Tu ferais mieux, à moins de te prendre pour un cheval dansant
le tango, effaçant le passage du temps. Ou pour le vagabond tombé de cheval,
dont les hardes délavées sont tachées de boue. Il arrive devant le mur de la
propriété, une porte de service que plus personne n’emprunte. Le verrou rouillé
n’offre pas de résistance, de l’autre côté s’élève une prairie aux hautes
herbes. Tu avances. La rosée te trempe et te blanchit. Bientôt des allées
entretenues se dessinent, des rectangles gazonnés, et tu croises des promeneurs
aux belles manières, en petits groupes. Ils te saluent et tu leur réponds de
même, ils imaginent peut-être que tu es un invité de la fête malgré ta barbe et
ta rusticité – le dress code
stipulait ivoire et beige. Plus haut se trouve le château d’où tous ces gens
s’égaillent, pour toi c’est la destination finale. Deux escaliers de marbre
flanquent le hall d’entrée ; rien n’annonce qu’ils se rejoignent aux
étages, il s’agit de faire le bon choix. Ou redescendre de la tour de gauche
pour essayer la tour de droite. Lâcher la peur pour la honte. Qui es-tu ?
Cherches-tu une chambre où te blottir à l’abri des regards ? À l’abri du
mépris, de l’ennui, de l’aversion ? Es-tu si peu aimable, ne sais-tu
vraiment pas danser ? Désespérément l’état de joie gratte le mur, là où la
peinture déjà s’écaille. Tu entends la chaleur d’une voix poignante. Tu te
raccroches au trompe-l’œil comme au sourire d’une peluche. Tu prémédites une
infinité de moments qui n’adviendront pas. Puis tu repars, tenant ton cheval
par son mors.
jeudi 4 juillet 2019
mercredi 3 juillet 2019
3 janvier
Alma
sème un champ neuf. Sous cette latitude la lune paraît plus lumineuse mais
l’exactitude des saisons n’est pas requise. Les graines sont issues d’une
première récolte. Alma est sur l’île depuis peu, elle ne veut pas penser qu’il
s’agit d’un continent.
Auparavant
c’était une combattante. Ses mains ont connu l’acier des armes. Aujourd’hui
c’est comme si elle nettoyait dans la terre le sang versé, comme si le soc
fertilisait une rédemption. De son sein le sang coulait, que son amant ne
savait étancher.
Binh-Dû
– puisqu’il ne s’agit pas de lui – était excessivement sérieux. Il
réfléchissait à la mort, pire encore : à ce que devrait être une vie
morale. Il pensait que la beauté découlait de la bonté, bien sûr il se trouvait
hideux. Il contemplait l’océan, assis, et il pleurait.
Très loin de là, en un autre temps, les jonquilles préparent leur
floraison. Ce ne sont pour l’instant que faisceaux de feuilles sorties du
bulbe, protectrices, enserrant une promesse. Les gelées nocturnes sont de plus
en plus timides. Ouvre les yeux !
mardi 2 juillet 2019
2 janvier
Place à l’inspiration, annonce-t-elle, comme si
c’était aussi simple que cela. Parole de muse. En voici une autre (de
muse ; qui parle), qu’on en revienne
à la simplicité du clin d’œil. Et une troisième qui, sentant venir le bout du
chemin, prévient qu’elle part en breloque. Cela vaut bien un appareillage
héroïque, le soleil miroite un fracas de reflets.
La peur
est un tel lieu commun qu’on s’en empêtre à l’ombre de plus hautes tours. La
peur est l’ombre, tandis que planent les aigles. Tu as accosté, épuisé,
heureux, tu as titubé sur la plage. Tu t’es abreuvé à une noix de coco, tu t’es
enfoncé dans la forêt. Tu humais une circularité d’île, tu cherchais la trace
de ceux qui t’auraient précédé, Alma !
D’évidence
tu n’es pas le premier, toute une civilisation a péri. Ce n’est pas une île
mais un continent. Et ce n’est pas la peur qui t’étourdit mais la proximité du
soleil, la terrible appréhension de la tristesse tel un soudain haut-le-cœur.
Sous tes pieds des siècles de philosophie, devant toi la possibilité d’une
apparition. Sauras-tu ne pas fermer les yeux ?
lundi 1 juillet 2019
1er janvier
La
cohérence est un serpent de mer. Elle est comme une honte, qu’on peut passer sa
vie à ignorer. Pour la connaître il faut se risquer sur les flots, partir au
loin en sachant que si le soleil brille bientôt la tempête soufflera.
Mais
pourquoi faire cela ? N’a-t-on pas déjà suffisamment à faire avec les
lombrics du jardin potager ? Et ne sont-ils pas dignes de considération
eux aussi, et même davantage, ne produisent-ils pas le compost du
quotidien ?
Le
serpent de mer est la question de tes rêves. Et tu t’aperçois que ta cohérence
repose sur le manque de foi. Tu n’y crois pas vraiment. D’ailleurs tu n’as
aucune envie de partir affronter des monstres, tu aspires à la sérénité.
Si tu
décidais de t’en aller courir le vaste monde, ton héroïsme consisterait à ne
jamais quitter le bord. Au fond tu es un trouillard ! Voilà que tu ris
d’avoir au port démasqué la honte, tu es prêt, enfin, à hisser voiles et
pavillon.
dimanche 30 juin 2019
Bonus : nuit de l'an
Sa stratégie est parodie de conscience. Lui est un autre,
naufragé. Il accoste dans un café cubain, un mégot branlant entre deux de ses
doigts. Il cherche un cendrier. Il regarde la carte où l’on propose un menu
réveillon à 95 euros. Il cherche un regard témoin, huit lycéens bruyants jouent
la comédie de la fière insouciance. Ils ne le calculent pas. Il a 67 ans,
tient-il à déclarer, et sa femme l’a quitté. Au couple sympathique de la table
d’à côté il emprunte un briquet pour allumer une nouvelle cigarette, il dit
« Vous êtes cohérents », puis « J’ai 67 ans, ma femme m’a
quitté » et il recommence à fumer. Les deux probables amoureux parlent de
pathologies mentales et du pouvoir du rire, assez sérieusement. Une bouteille
de rosé roule entre les pieds des lycéens qui peinent à se pencher depuis leur
chaise pour la ramasser. La nuit est jeune encore, à peine un début de soirée,
et l’année va mourir. Il y aura une remise à zéro sur le compteur et personne à
serrer dans ses bras. Il n’y aurait rien à faire si c’était d’un coup la fin du
monde, juste imploser en désolation infinie. L’homme d’une main tremblante écrase
sa cigarette dans le cendrier de la table des amoureux, il leur dit qu’ils sont
cohérents, qu’il a 67 ans et que sa femme l’a quitté. Il fait signe qu’on lui
tende le briquet afin qu’il puisse allumer une nouvelle cigarette. Sa cohérence
est peut-être de fumer sans feu. Les amoureux n’en sont pas, ils se séparent
sans même un baiser. La jeune femme transporte dans un sac transparent une
bûche de Noël qui commence à fondre. L’homme moins jeune n’entend pas la voix
intérieure qui lui rappellerait de vivre maintenant avant qu’il ne soit trop
tard. Jacasse une pie nocturne dont la cohérence non moins laisse à désirer.
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