Sa stratégie est parodie de conscience. Lui est un autre,
naufragé. Il accoste dans un café cubain, un mégot branlant entre deux de ses
doigts. Il cherche un cendrier. Il regarde la carte où l’on propose un menu
réveillon à 95 euros. Il cherche un regard témoin, huit lycéens bruyants jouent
la comédie de la fière insouciance. Ils ne le calculent pas. Il a 67 ans,
tient-il à déclarer, et sa femme l’a quitté. Au couple sympathique de la table
d’à côté il emprunte un briquet pour allumer une nouvelle cigarette, il dit
« Vous êtes cohérents », puis « J’ai 67 ans, ma femme m’a
quitté » et il recommence à fumer. Les deux probables amoureux parlent de
pathologies mentales et du pouvoir du rire, assez sérieusement. Une bouteille
de rosé roule entre les pieds des lycéens qui peinent à se pencher depuis leur
chaise pour la ramasser. La nuit est jeune encore, à peine un début de soirée,
et l’année va mourir. Il y aura une remise à zéro sur le compteur et personne à
serrer dans ses bras. Il n’y aurait rien à faire si c’était d’un coup la fin du
monde, juste imploser en désolation infinie. L’homme d’une main tremblante écrase
sa cigarette dans le cendrier de la table des amoureux, il leur dit qu’ils sont
cohérents, qu’il a 67 ans et que sa femme l’a quitté. Il fait signe qu’on lui
tende le briquet afin qu’il puisse allumer une nouvelle cigarette. Sa cohérence
est peut-être de fumer sans feu. Les amoureux n’en sont pas, ils se séparent
sans même un baiser. La jeune femme transporte dans un sac transparent une
bûche de Noël qui commence à fondre. L’homme moins jeune n’entend pas la voix
intérieure qui lui rappellerait de vivre maintenant avant qu’il ne soit trop
tard. Jacasse une pie nocturne dont la cohérence non moins laisse à désirer.