... Tu ferais mieux, à moins de te prendre pour un cheval dansant
le tango, effaçant le passage du temps. Ou pour le vagabond tombé de cheval,
dont les hardes délavées sont tachées de boue. Il arrive devant le mur de la
propriété, une porte de service que plus personne n’emprunte. Le verrou rouillé
n’offre pas de résistance, de l’autre côté s’élève une prairie aux hautes
herbes. Tu avances. La rosée te trempe et te blanchit. Bientôt des allées
entretenues se dessinent, des rectangles gazonnés, et tu croises des promeneurs
aux belles manières, en petits groupes. Ils te saluent et tu leur réponds de
même, ils imaginent peut-être que tu es un invité de la fête malgré ta barbe et
ta rusticité – le dress code
stipulait ivoire et beige. Plus haut se trouve le château d’où tous ces gens
s’égaillent, pour toi c’est la destination finale. Deux escaliers de marbre
flanquent le hall d’entrée ; rien n’annonce qu’ils se rejoignent aux
étages, il s’agit de faire le bon choix. Ou redescendre de la tour de gauche
pour essayer la tour de droite. Lâcher la peur pour la honte. Qui es-tu ?
Cherches-tu une chambre où te blottir à l’abri des regards ? À l’abri du
mépris, de l’ennui, de l’aversion ? Es-tu si peu aimable, ne sais-tu
vraiment pas danser ? Désespérément l’état de joie gratte le mur, là où la
peinture déjà s’écaille. Tu entends la chaleur d’une voix poignante. Tu te
raccroches au trompe-l’œil comme au sourire d’une peluche. Tu prémédites une
infinité de moments qui n’adviendront pas. Puis tu repars, tenant ton cheval
par son mors.