Jusqu’au jour où ton chemin croise ou recroise celui d’un
être sincère, généreux, poétique, et tu n’en crois pas ton cœur – il bat !
– et tu ne sais pas quoi faire, une forme de panique t’enveloppe comme du
papier-bulle, comme si c’était toi soudain qui étais l’objet précieux, l’objet
fragile, le cadeau destiné, mais non c’est l’autre qui te regarde depuis des
profondeurs à peine soupçonnées, peut-être espérais-tu qu’un tel moment se
produise alors que tu étais toi-même empêtré dans ta naïveté, une innocence
dont tu te souviens confusément, à l’époque tu aurais pu devenir celle ou celui
que tu aurais rencontré, avec un peu de chance, un supplément de ténacité, tu
aurais pu si seulement tu avais pu – être semblable au meilleur de toi –,
aujourd’hui tu dérives de celui que tu étais hier encore et qui se foutait de
tout, il va falloir que se ressoudent quelques os de convenance, que se
cicatrisent quelques manières mal cousues jadis, tu ne comprends pas bien quel
est l’enjeu sauf qu’il n’a jamais été aussi élevé, est-ce encore de ta vie
qu’il est question ou sommes-nous – quoi que ce nous puisse signifier – en présence d’une toute nouvelle
urgence ?
dimanche 14 juillet 2019
samedi 13 juillet 2019
13 janvier
La culpabilité n’est pas dans la hotte – vide ou pleine – du
père Noël.
Ni dans la superstition des feux de la Saint-Jean.
Elle n’est pas dans la passoire qui encombre ton égouttoir à
vaisselle.
(Bien que la passoire t’attriste, tu en as besoin.)
La culpabilité n’est pas quelque chose dont tu aurais besoin.
Elle n’est pas non plus un sentiment.
On continuera d’ôter la vie pour notre plaisir.
(Et les cochons de sourire aux devantures des boucheries.)
La culpabilité n’est pas dans l’innocence vulnérable de la
jouissance.
Ni dans l’abandon mesuré du lecteur.
Elle ne serait même pas dans la fidélité au mensonge.
(Mais là tu te pinces jusqu’à demander grâce.)
vendredi 12 juillet 2019
12 janvier
Que fait le boucher, rit-il également ? Le silence pour
la plupart des gens n’est pas un prérequis, et nous ne savons plus avec
évidence distinguer le chant du rossignol de celui du merle. Tant qu’il y aura
des arbres en ville, la nuit… Tu as quitté l’île et tu le regrettes déjà ;
la réalité, est-ce cela : des histoires de travailleurs, des sursauts de
désir épuisé ou exaspéré, des désolations individuelles choquées dans la
multitude ? D’invisibles accumulations aux yeux qui ne voient plus ?
Ce qui t’apporte de la joie questionne la nature de ta joie. La poussière
elle-même n’est pas exclue ; non plus que les scénarios désastreux.
Contenus par des enclos de barrières métalliques, les sapins décharnés exposent
au regard des enfants leur déchéance, y a-t-il un père Noël pour tolérer
cela ? Y a-t-il un danseur pour slalomer entre les épines et déraper sur
de la fausse neige et des déchets de polystyrène ? Tu dis Pardonne-moi, mes tendons sont blessés et
mon âme à mi-hauteur seulement de la beauté de la tienne, tu dis Je viens de voir un chat écrasé dans la rue
et je n’ai pas su quelle émotion me traversait, tu dis Je ne peux m’empêcher de craindre qu’une seconde de patience soit une
seconde gâchée, et elle te répond : « Ne t’inquiète pas, je
connais la grandeur de ton urgence ». Alors tu ris comme un boucher ou un
bibliothécaire et tu n’ajoutes pas de dernier mot.
jeudi 11 juillet 2019
11 janvier
Vers
l’élévation si longtemps retardée, si tôt pressentie.
Un
enfant prépare son sac de survie.
Un jeune
homme épuisé pousse un caddie rempli de bières et d’alcools forts.
Une
scientifique égraine un chapelet de déroutes.
La fin
du monde aurait déjà dû se produire, nous qui sommes nés sommes des survivants.
Des rescapés. Et nous faisons comme si tout n’avait pas été écrit. Dans la
Peugeot Diesel attendait un nuage épais de fumée de cigarette, la portière claquée
soulevait le cœur. Le bavardage dur, la mollesse du moteur, les virages mal
amortis. Dans la maison les verres propres portaient des traces de doigt sur
leur pourtour et l’on mangeait du foie ou de la cervelle. La nuit, des mains palpaient
la chair tendre – cauchemar ? Dans le train, les fenêtres à guillotine
s’ouvraient trop peu pour qu’on y passe un torse, même fluet, les autobus s’arrêtaient
aux passages piétons qu’on traversait en courant. L’école était un cadrage pour
l’idiotie, la sienne propre, celle des autres, l’idiotie des autres était plus
valable que la sienne propre – qui était imbécilité. Les journaux poissaient
les mains d’une encre humide. Et l’on se demandait pourquoi.
La
tempête est d’abord une respiration.
Puis
vient le chat sur les genoux, le thé fumant sur la table basse.
Un
bibliothécaire éclate de rire face au chaos – Chut, on travaille !
Tu ne
veux surtout pas envisager ton agonie.
mercredi 10 juillet 2019
10 janvier
Jusqu’où le resserrement du temps présent peut-il se
supporter ? Quelle dose d’intensité ? C’est comme trop de jouissance.
C’est l’éternité consumant l’orange, une blessure d’annihilation. Binh-Dû ne
sait pas où il est, ce qu’il fait, ce qu’il est censé faire, et vous ?
Vous souvenez-vous de votre naissance, des premiers cris, des premières
résolutions abattues ? Des premières compensations consolatrices ? À
chaque jour suffisent ses joies et ses peines (multiples si l’on en a la
capacité), mais quel fut le premier jour dont vous avez connaissance, non pas
le premier de vos souvenirs, au fond, tout au fond de votre coffre à jouets,
mais la première connaissance de la matérialité d’un jour s’inscrivant dans une
vague continuité ? L’avenir de Binh-Dû ne dépend absolument pas de lui,
quoi qu’il entreprenne. Les enfants, il faudrait les laisser prendre le maximum
de risques considérés et accepter d’emblée qu’ils échappent à la lignée. On
s’en porterait mieux, tous, au lieu de s’asseoir lourdement sur ses acquis
individuels. Mais on hurlerait aussi, comme des loups. Ce présent resserré est
une pliure. Rangées la plage, l’île, la solitude apaisante. Clarifiés la foi et
le désir. La course tourne sans fin, n’importent les coureurs, quelles mains
font signe. Tu y retournes.
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