samedi 20 juillet 2019

20 janvier


           Une seule fois à chaque fois. Chaque embranchement ordonne une irrévocable décision. Si tu retournes plus tard sur tes pas pour suivre une autre direction, rien de ce qui attendait ne t’aura attendu. Ou si, peut-être un semblant d’équivalence, mais tu sais bien que le temps écoulé est irrattrapable. La vie que tu aurais pu vivre, tu ne l’as pas vécue, impossible de revenir là-dessus. La vie que tu mènes est une addition continue de conséquences. L’homme que tu es ne pourrait pas être différent de l’homme que tu es.
           Il l’aurait été si, une seule fois, un autre choix. Au change tu aurais gagné ou perdu. Il vous serait malaisé de vous rencontrer – beaucoup de suspicion, de jalousie mutuelle, de reproche. Est-ce que tout va bien ? Mais en symétrie, l’homme que tu seras, l’homme que tu es ne le connais pas (il le soupçonne). L’homme que tu seras sera toujours issu de conséquences. Tu as de la chance. Tu peux devenir à partir de celui que tu es. Tu peux même te laisser devenir. Puisque personne ne t’équivaut, pas même tes dérivés ectoplasmiques.

vendredi 19 juillet 2019

19 janvier


           Encore une cinquantaine de fois, monsieur le bourreau ? S’il vous plaît. Sentir le choc au cœur lorsque l’horizon d’un coup se dévoile. Avancer lentement sur la dune, vers la mer. Embrasser le ciel immense, les nuages, la couleur des vagues. S’asseoir. Regarder regarder sentir respirer respirer encore regarder avaler le paysage tout entier. Goûter ce qui d’éternité était souvenir, la plage, la mer, le ciel et l’horizon. La beauté de cette ligne, sa courbure légère, la paix. Rêver assis, s’émouvoir. S’élever, s’agrandir. Aimer.
           On ne lit pas au pied des éoliennes. Ce n’est pas vrai. Au pied des éoliennes on ramasse des cadavres d’oiseaux coupés dont le chant aura été couvert par le bruit sourd des pales. On ne navigue pas entre les éoliennes. Ce n’est pas vrai. On y vomit nos rêves d’évasion et nos ultimes espérances. On ne sauve pas la planète avec des éoliennes. Ce n’est pas vrai. On achève de la saturer d’électricité superflue. Lire était contempler, tu te souviens. Lire, c’était goûter l’horizon. C’était vivre. Et la lame assassine tranche le cou du monde.

jeudi 18 juillet 2019

18 juillet


           Une centaine de fois même, ce ne serait pas beaucoup – certains de tes proches, tu ne les reverras pas aussi souvent d’ici à ce qu’une mort survenue ne close le compte de vos retrouvailles. Une centaine de fois déjà vous vous êtes donnés rendez-vous, et retrouvés, salués, bisés sur les deux joues. La fréquence s’accélère, la connaissance, l’appréciation. Il y a probablement un niveau de stabilité encore à atteindre, pour l’instant ça grimpe. (Ou un replat, une descente brutale – non ! – un regain ?) Mais un cœur si attentionné, as-tu déjà rencontré ?
           Car on oublie, par nécessité. Sinon comment, jamais, ranimer une flamme ? La nuit dans Paris, tous les jeunes couples portent des bonnets. Il fait froid comme en hiver, c’est l’avantage. Le métro est fermé, Vous allez où ? On va se coucher, et vous ? Nous aussi, on rentre chez nous. On va dans la même direction, alors. Si vous voulez mais on est presque arrivés : c’est au Père Lachaise. Tu as envie de rire, tu as bu un peu trop ce soir, et leurs visages te semblent familiers, des amis en compagnie desquels tu te sentirais bien. On est morts, confirment-ils.

mercredi 17 juillet 2019

17 janvier


Pour la dixième fois, sur scène elle se tient devant toi, et pour la dixième fois tu es au bord des larmes. Non que ses mots ou ses actes expriment une douleur intime qui entrerait en connexion avec la tienne. D’abord c’est d’émotion que tu es saisi, dont la teneur n’a rien de douloureux. (Ou la joie même est douloureuse ?) Non qu’elle te regarde toi en particulier. Mais elle apparaît, elle se tient là, elle regarde, elle parle, elle danse, et immanquablement, à un moment ou un autre (tu ne sais jamais à l’avance lequel), quelque chose en toi d’ordre lacrymal se déclenche. (La larme définit l’homme, non ?) Tu n’es pourtant pas une si mélancolique personne. (Ou si ?) Tu ne voudrais pourtant pas porter ta sensibilité en étendard. Et tu sais rire aussi – à l’occasion. Alors quoi ? Est-ce un besoin vital de pleurer qui trouve ici une voie de passage, la source des larmes est-elle à rechercher très loin en amont, quand il faisait froid et nuit et solitaire, quand l’existence était une sensation dure comme les pierres, quand tu étais complètement perdu ? Possible. Mais indéniable est cet effet reçu, dont tu ne te lasses pas.



mardi 16 juillet 2019

16 janvier


           Ta main voudrait dessiner des arabesques, elle peine à simplement se tendre dans la lumière. Sacrebleu ! De quelle époque es-tu, celle du cinématographe ? Ou doit-on remonter jusqu’aux ombres chinoises…
           Dans la chambre claire aux murs fraîchement repeints de blanc, l’odeur rémanente perturbe tes neurotransmetteurs. Mais il n’y pas que cela, l’odeur est secondaire. Ce qui prime, c’est le soleil à travers les clayettes.
           Tu voudrais que s’imprime la caresse d’une fleur sur un visage. Tu tâtonnes. Autour de toi, on t’invective, Ce n’est pourtant pas compliqué ! Mais tu ne maîtrises pas les inversions et tu ne distingue pas la source.
           Une heure plus tard le temps est mort. Sa trace demeure sur un enregistrement vidéo d’une cruauté si vive qu’on en est réduit à allumer des néons. Dans le cosmos une voix dira Nous y étions, nous étions splendides.
           Personne ne contestera, si tant est que quiconque s’y intéresse. Le futur sera une aberration logique et l’humanité apparaîtra tel le résidu sec d’une forme d’intelligence. C’est alors qu’un premier batracien relèvera sa paupière.