Pour la dixième fois, sur scène elle se tient devant toi, et pour
la dixième fois tu es au bord des larmes. Non que ses mots ou ses actes expriment
une douleur intime qui entrerait en connexion avec la tienne. D’abord c’est
d’émotion que tu es saisi, dont la teneur n’a rien de douloureux. (Ou la joie
même est douloureuse ?) Non qu’elle te regarde toi en particulier. Mais
elle apparaît, elle se tient là, elle regarde, elle parle, elle danse, et
immanquablement, à un moment ou un autre (tu ne sais jamais à l’avance lequel),
quelque chose en toi d’ordre lacrymal se déclenche. (La larme définit l’homme,
non ?) Tu n’es pourtant pas une si mélancolique personne. (Ou si ?)
Tu ne voudrais pourtant pas porter ta sensibilité en étendard. Et tu sais rire
aussi – à l’occasion. Alors quoi ? Est-ce un besoin vital de pleurer qui
trouve ici une voie de passage, la source des larmes est-elle à rechercher très
loin en amont, quand il faisait froid et nuit et solitaire, quand l’existence
était une sensation dure comme les pierres, quand tu étais complètement
perdu ? Possible. Mais indéniable est cet effet reçu, dont tu ne te lasses
pas.