vendredi 29 septembre 2023

des gens, des chiens, du fascisme

mardi 27 septembre 2022
 
    Dans ce village médiéval, un autoradio me réveille, je garde les yeux fermés en espérant que cesse le bourdonnement inepte d'un bavardage probablement populo-fasciste. Mais qui vient garer sa voiture à côté de la mienne, le matin, pour y rester enclos et s'abrutir d'aigreur ? Finalement mon immobilité a raison de son bruit et la voiture repart.
    Dans le village je croise des gens avec des chiens. L'un d'eux (un chien) file vers moi sitôt son maître l'a lâché dans le parc planté d'arbres commémorant les morts de 14-18. Sifflé. Un autre se promène sans laisse au côté de sa maîtresse qui me sourit. Un autre encore promène son homme saoul – déjà ? – ou médicamenté ou pressé de mourir.
    Je reprends la route, en direction de la maison parentale qui est la raison première de toute cette virée, j'y suis attendu avant la nuit. Il reste du temps pour s'enfoncer dans la garrigue. Je n'apprécie pas trop le paysage, longeant le tracé des pylônes. Je marche pour marcher. Je croise encore deux chiens, rappelés bien que placides sur mon passage.
    Et voilà, je suis arrivé. C'est une autre histoire qui ne se racontera pas ici. Une histoire de quelques jours. Je renoue avec la parole, un certain confort, des plats chauds. Des nouvelles du fascisme qui a triomphé une nouvelle fois en Italie et d'un virus qui patiemment détruira les cellules de nos cerveaux, qu'ils soient soucieux ou satisfaits.
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mercredi 27 septembre 2023

Il faut imaginer Cassandre heureuse

lundi 26 septembre
 
    Mais y a-t-il de quoi ne plus trembler ? Il faut imaginer Cassandre heureuse (revisiterais-je Camus). Sisyphe encore vivait dans le feu de l'action, Cassandre est à bout de courage. Il faudrait apprendre à pratiquer un désespoir heureux. Ou mettre de la joie dans le désespoir. Nous n'avons plus trop le choix, nous qui savons.
    Il fait froid, comme il faisait chaud, de plus en plus. Le vent souffle sur le causse et s'insinue même dans les replis. Le lichen pousse sur les conifères. Le chauffeur-grutier d'un camion chargé de grumes arpente soigneusement les abords d'une parcelle saccagée, ses bras débordent de champignons. Jusqu'où, morte, la forêt vivra-t-elle encore ?
    J'ai si froid que j'hésite à m'arrêter pour enfiler une polaire sur ma chemise d'été, comme si marcher vite était indispensable à me maintenir en vie. Peut-on mourir de tant d'inadaptation ? Que faire de la conscience de notre précarité thermique - les hommes préhistoriques devaient survivre à chaque nuit, quand dans la voiture je tournerai un bouton de chauffage.
    Une mini-clairière de soleil où ingérer quelques calories, enfiler cette polaire - mes doigts sont gelés au point de ne pas pouvoir remonter la fermeture éclair. Au point de peiner à enfoncer une cuillère dans un avocat, je dois le poser sur une souche et peser avec tout mon corps. Un couple emmitouflé rentre les épaules sur le plateau préhistorique. J'étreins un menhir à ma taille.
 

 

mardi 26 septembre 2023

Sur le chemin de Compostelle je n'ai pas de pensée chrétienne

dimanche 25 septembre
 

   Il pleut toute la nuit, il pleut tout le matin, tout le jour il va pleuvoir. Ce n'est pas drôle, mais plus au sud il pleuvra moins. Je n'ai pas besoin de davantage de nostalgie te concernant. Les Cévennes, nous n'y sommes pas arrivés, nous en avions juste aperçu les collines au loin. Tu t'étais blessée à la jambe, nous avions attendu deux jours que cela guérisse et puis nous avions repris le train.
    Je n'attends pas. J'apprends à me servir de ces essuie-glaces intelligents. L'ordinateur de bord indique la température extérieure, j'ai du mal à y croire tant le système de chauffage est efficace. Il pleuvine encore sur le plateau de l'Aubrac, je frissonne, le ciel présente des trouées bleues entre les nuages, qui filent vite. Le vent aussi est d'une force à décrocher les cornes des vaches.
    Mais un chemin m'appelle, il décline son nom de Compostelle. Une coquille Saint-Jacques est clouée sur un poteau. Une boîte à dons est fixée cadenassée au profit des propriétaires qui permettent le "service" du passage sur leurs terres, obole laissée à "la raison" des pèlerins. Des niaiseries édifiantes sont inscrites au correcteur liquide. Un chasseur erre avec ses chiens.
    L'un d'eux me course avant d'être sifflé. Je n'ai pas de pensée chrétienne. Le ciel menace mais ne s'ouvre pas au déluge, alors je continue. Des vaches il y en a à ne plus savoir qu'en faire, j'entends un unique coup de fusil. Sans doute un oiseau. Ils ont tué jusqu'au dernier dodo. Au bout (provisoire) du chemin, un village perché au-dessus du gouffre des vallées, une église où dormir ? Je fais demi-tour.
    Car déjà la nuit s'avance. Elle avance avec moi, et patiente lorsque j'admire un poteau de clôture laissé à l'abandon, peu à peu couvert de lichen. Mon ombre avance elle aussi, de plus en plus longue. Je retrouve ma silhouette qui marche dans la frondaison de chênes en contrebas, plaquée là par un soleil au ras des prairies. Au sortir d'une douche au ballon épuisé, dans la voiture en mode séchoir je cesserai de trembler.

lundi 25 septembre 2023

Un moineau s'agite dans les épaisseurs de la haie

samedi 24 septembre 2022
 
    Un moineau s'agite dans les épaisseurs de la haie. Son territoire. Il a l'air vif, très éveillé. Je me frotte les yeux, si longtemps ai-je dormi. Il fait déjà jour et pourtant les nuits sont longues. Le siège en position allongée de la voiture de location s'est révélé peu confortable, nuit entrecoupée de réveils douloureux. Cela va mieux quand même – je suis parti. Sans trop savoir ce qui attend, comment ce sera.
    Je regrette ma vieille voiture hors d'âge, toute bosselée. Celle-ci est comme neuve et toute éraflure me sera comptée. Tout kilomètre en trop. J'ose à peine y bouger. Elle m'admoneste aussi, via son ordinateur de bord, son correcteur de trajectoire, la discrétion ouatée de son moteur qui fait que je ne sens pas que je roule trop vite – et paf, un éclair de radar.
    Je me gare, je crois me souvenir, un sentier monte de façon abrupte au-dessus de la ville, et s'en éloigne sur le flanc de la vallée, vers les volcans. Nous étions arrivés en train, c'était la fin de l'après-midi, vite nous avions grimpé pour planter notre tente hors de vue. Cette fois c'est le matin, et tu es sur un autre continent. Je me perds un peu, pour bien commencer. En fait, nous avions pris un autre chemin.
    Mais c'est la même crête des puys. Des vaches d'une génération suivante. L'exaltation retrouvée à la vue qui porte loin. J'y suis. Le jour décline, il est temps de redescendre. Cela nous ne l'avions pas fait, nous étions partis pour traverser l'Auvergne et les Cévennes avec notre tente. Moi je retourne à la voiture. J’emprunte un raccourci parmi les bruyères, m'égare dans un vallon boisé, me guide à la rivière.
    Je retrouve un sentier, il est tard, la nuit va bientôt arriver. La pluie menace aussi, mais je cours. J'arrive, je suis presque arrivé, revoilà une route goudronnée, la civilisation. Un supermarché qui ferme. Je m'abrite sous son auvent de l'averse qui s'abat soudain. Ah oui, j'ai oublié ma cape de pluie dans la voiture. À la place j'ai emporté un livre, plus lourd, par erreur. Je veillerai à ne pas tremper l'habitacle en tournant les pages.

jeudi 21 septembre 2023

Vivaces #45

Je ne sais pas si tu as déjà perdu une personne aimée et très proche. Quand un mort s’en va, il emporte son monde avec lui. Le sens de son monde. Ses vêtements cessent d’avoir une utilité. Ce manteau qui lui allait tellement bien et qui lui plaisait tellement n’est plus qu’une fripe absurdement accrochée à un cintre. Ses objets deviennent muets ; plus personne ne sait maintenant ce que signifiait cette tasse en porcelaine dans laquelle elle buvait toujours son thé, à quel moment elle l’avait achetée ni ce qu’elle lui rappelait. Ou cette petite pierre polie qu’elle avait toujours à côté de l’ordinateur : sur quelle montagne l’avait-elle prise, dans quelle rivière, pourquoi. Les choses se vident de leur histoire et de leur essence et se transforment en déchets. Les morts ne partent jamais seuls : ils emportent un morceau de l’univers.
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Je guette à nouveau pour voir si j’aperçois la belle Nyembeti. Mais non. Il ne reste que le boubou mis à sécher et qui ondule d’un balancement sensuel. Tout vêtement reçoit l’âme de la personne qui le porte.
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Dans le creux que laisse apparaître une empreinte, et par lequel un mouvement dans le temps prend forme dans l’espace, on peut voir que quelqu’un ou quelque chose est passé. La présence de la trace témoigne de l’absence de ce qui l’a formée. Dans la visibilité de la trace, ce qui l’a engendrée se dérobe à nous et demeure invisible (...). La trace ne rend jamais présent ce qui est absent ; elle représente la non-présence de l’Absent. Les traces ne donnent pas à voir ce qui est absent, mais plutôt l’absence même.
 
Rosa Montero (in La bonne chance)
& Mia Couto (in Un fleuve appelé temps, une maison appelée terre)
& Sybille Krämer (https://journals.openedition.org/trivium/4171?lang=de)