mardi 27 juin 2023

Rhizomiques #150

Dans les années 1920, DuPont (chimie), associé à General Motors (automobiles), associé à Exxon (pétrole) devient leader mondial pour la production et la vente de plomb tétraéthyle, un additif pour l’essence. Ce produit extrêmement toxique est aujourd’hui frappé d’interdiction à peu près partout dans le monde, mais durant des décennies il s’est répandu dans l’atmosphère, il a arrosé et contaminé la planète entière, on en trouve encore des traces sur toute  la surface du globe, et dans les océans, dans l’écorce des arbres et jusque dans les glaces polaires. L’une de ses qualités est d’être quasiment indestructible. Il existait un produit de substitution, l’éthanol, qui était inoffensif et aurait pu jouer le même rôle que le plomb tétraéthyle, mais l’éthanol n’était pas brevetable, trop facile à fabriquer il n’aurait pas pu assurer la situation de monopole aux trois sociétés associées et aurait considérablement réduit leurs marges bénéficiaires. La santé pour tous ou les profits pour eux : il fallait choisir. On ne peut qu’admirer cette remarquable stratégie commerciale.
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« Attendez, nous disent-ils, soyez patients. La technologie saura résoudre le problème du CO2. » À Kyoto et à Copenhague, à Doha et à Paris, ils n’ont fait que nous répéter : « Nous réduirons les émissions, nous apprendrons à nous passer des hydrocarbures. » Et là-dessus, ils sont retournés à l’aéroport dans leurs limousines blindées pour monter dans des jumbo-jets, et ils ont mangé des sushis à dix mille mètres d’altitude pendant que les plus pauvres étouffaient dans leurs quartiers pollués. Nous avons suffisamment attendu.
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Les trois piliers de l’ère néolibérale (privatisation du secteur public, déréglementation du marché et allègement du fardeau fiscal des entreprises financé par la réduction des dépenses publiques) sont donc incompatibles avec une bonne partie des mesures à prendre  pour ramener les émissions [de CO2] à des niveaux acceptables. Ces piliers soutiennent le mur idéologique qui, depuis des dizaines d’années, empêche le déploiement de solutions sérieuses pour endiguer le déséquilibre climatique.
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Certes, il y a encore trop de gouvernements qui ne font rien… mais énormément de gens votent pour ces gouvernements. (…) Aujourd’hui, la majorité de la population mondiale veut encore une société productiviste, de court terme, et se moque de la destruction du climat et de la biodiversité. Il faut en être conscient. (…) Tout l’enjeu consiste à réaliser que le type qui a les pieds dans l’eau aux Tuvalu ou celui qui affronte les cyclones au Bangladesh, que tous ces gens qu’on ne connaît pas, dans des pays où l’on n’ira jamais, font partie du même monde que nous.
 
Marcus Malte (in Qui se souviendra de Phily-Jo ?)
& Antony Doerr (in La cité des nuages et des oiseaux)
& Naomi Klein (in Tout peut changer)
& François Gemenne