J’allume l’autoradio, une voix féminine déclare que, pour la sixième année consécutive, les profits de l’industrie de l’armement ont progressé. La pandémie a alimenté la demande de matériel militaire à travers le monde, dit-elle avant que sa voix ne se perde aussitôt dans un grésillement. La phrase suivante est inaudible, puis j’entends à nouveau : une progression de cinq cent trente milliards de dollars. Les grésillements reviennent et la présentatrice s’évanouit tout à fait. (…) Je tripote l’appareil sans quitter la route des yeux. Jaillit alors une voix limpide : bonjour, vous écoutez Radio Apocalypse.
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« La première option est évidente : la vengeance. Quand quelqu’un tue votre fille, vous voulez être quitte. Vous avez envie d’aller tuer un Arabe, n’importe quel Arabe, tous les Arabes, et puis vous avez envie d’essayer de tuer sa famille et tous les gens autour de lui, c’est attendu, c’est exigé. Chaque Arabe que vous voyez, vous le voulez mort. (…)
Puis, au bout d’un certain temps, vous commencez à vous poser des questions. (…) Et vous vous demandez : Est-ce que tuer quelqu’un me ramènera ma fille ? Est-ce que tuer tous les Arabes la ramènera ? Est-ce qu’infliger une souffrance à autrui allègera la souffrance insupportable qui vous mine ? (…) De manière très progressive, et compliquée, vous parvenez de l’autre côté : vous commencez à vous demander ce qui est arrivé à votre fille, et pourquoi. C’est difficile, c’est effrayant, c’est épuisant. Comment une chose pareille a-t-elle pu se produire ? Qu’est-ce qui a pu pousser quelqu’un à être à ce point enragé, furieux, à bout, désespéré, bête, pathétique, pour vouloir se faire exploser à côté d’une fille qui n’avait même pas quatorze ans ? Comment peut-on comprendre cet instinct-là ? Déchiqueter son propre corps ? Marcher dans une rue passante et tirer sur le cordon d’une ceinture qui va l’éparpiller en mille morceaux ? Comment peut-il penser de la sorte ? Qu’est-ce qui l’a fait comme ça ? Où diable a-t-il été créé ? Comment est-il devenu ainsi ? D’où venait-il ? Qui lui a appris cela ? Moi ? Son gouvernement ? Mon gouvernement ? »
Puis, au bout d’un certain temps, vous commencez à vous poser des questions. (…) Et vous vous demandez : Est-ce que tuer quelqu’un me ramènera ma fille ? Est-ce que tuer tous les Arabes la ramènera ? Est-ce qu’infliger une souffrance à autrui allègera la souffrance insupportable qui vous mine ? (…) De manière très progressive, et compliquée, vous parvenez de l’autre côté : vous commencez à vous demander ce qui est arrivé à votre fille, et pourquoi. C’est difficile, c’est effrayant, c’est épuisant. Comment une chose pareille a-t-elle pu se produire ? Qu’est-ce qui a pu pousser quelqu’un à être à ce point enragé, furieux, à bout, désespéré, bête, pathétique, pour vouloir se faire exploser à côté d’une fille qui n’avait même pas quatorze ans ? Comment peut-on comprendre cet instinct-là ? Déchiqueter son propre corps ? Marcher dans une rue passante et tirer sur le cordon d’une ceinture qui va l’éparpiller en mille morceaux ? Comment peut-il penser de la sorte ? Qu’est-ce qui l’a fait comme ça ? Où diable a-t-il été créé ? Comment est-il devenu ainsi ? D’où venait-il ? Qui lui a appris cela ? Moi ? Son gouvernement ? Mon gouvernement ? »
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Je crois encore que l’exactitude des faits et la complexité des récits sont le fondement de notre société, mais je suis troublé de voir à quel point les gens se soucient peu de la vérité, pour s’en remettre à leurs émotions. Dans quelques années, peut-être que nous nous retournerons sur cette époque pour dire que nous avons été pris par un accès de mauvaise fièvre. Ou pour constater que le mal s’est installé.
Audur Ava Ólafsdóttir (in Éden)
& Colum McCann (in Apeirogon)
& David Grann (interview dans Télérama du 23/08/23)
& Colum McCann (in Apeirogon)
& David Grann (interview dans Télérama du 23/08/23)