jeudi 16 novembre 2023

Rhizomiques #162

Je suis très inquiet et Charlie le sent. Elle grimpe sur mes genoux et me caresse le visage. (…) « Oh, s’exclame-t-elle, ne sois pas triste, Grand-papa. » Je réponds : « Je ne suis jamais triste quand tu es là », alors qu’en fait je le suis – triste qu’elle ait à vivre dans un monde pareil. Mais je devrais peut-être lui dire la vérité en fait : je suis triste, tout le temps, et on a le droit de l’être. Mais cette gamine est si joyeuse que cela semblerait immoral de le faire.
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J’aurais aimé connaître cette époque, je me sens en phase avec cette génération, tous ces jeunes gens qui souhaitaient déposer les armes. La paix, le pouvoir des fleurs : je vote pour. Hippies, mes frères. Je comprends leurs espoirs et leurs aspirations, leurs revendications, j’y adhère, je partage volontiers leur naïveté et tout le reste. Ultime résurgence du socialisme utopique. C’était notre dernière chance. Comme il devait être bon de croire en quelque chose ! Faire l’amour, pas la guerre : quel meilleur programme politique, économique et social nous a-t-on jamais proposé ? Le plus ambitieux aussi. Trop, sans doute, pour les pauvres créatures humaines – matérialistes, consuméristes – que nous sommes.
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« Les chansons peuvent-elle changer le monde ?
- Les chansons ne changent pas le monde. Ce sont les gens qui changent le monde. Les gens font passer des lois, manifestent, entendent Dieu et agissent en conséquence. Les gens inventent, tuent, font des bébés, déclenchent des guerres. » Il allume une Marlboro. « Ce qui soulève une question : "Qu’est-ce qui, ou qui est-ce qui, influence les gens qui changent le monde ?" Ma réponse est la suivante : "Les idées et les sentiments." Ce qui soulève une autre question : "D’où viennent les idées et les sentiments ?" Ma réponse est la suivante : "Des autres. Du cœur et de l’esprit de quelqu’un. De la presse. De l’art. Des histoires. Et enfin, et surtout, des chansons." Des chansons. Des chansons, comme des graines de pissenlit qui essaiment dans le temps et l’espace. Qui sait où elles se poseront ? Ou ce qu’elles apporteront ? (…) Où atterriront ces graines-chansons ? C’est la parabole du semeur. Souvent, elles atterrissent sur un terrain  infertile et rien ne pousse. Mais il arrive parfois qu’elles atterrissent dans un esprit qui est prêt. Qui est fertile. Que se passe-t-il alors ? Il se passe que des idées et des sentiments surgissent. De la joie, du réconfort, de la compassion. De l’assurance. Un chagrin cathartique. L’idée que la vie pourrait être, devrait être, mieux que ça. Une invitation à se glisser dans la peau de quelqu’un d’autre pendant un petit moment. Si une chanson plante une idée ou un sentiment dans un esprit, elle a déjà changé le monde. »
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Notre passé, notre présent et notre avenir sont contrôlés. Je ne comprends pas comment les Palestiniens peuvent faire l’amour. Il n’y a plus de place en moi pour l’amour.
 
Hanya Yanagihara (in Vers le paradis)
& Marcus Malte (in Qui se souviendra de Phily-Jo ?)
& David Mitchell (in Utopia Avenue)
& Ahmed Tobasi (in Télérama du 01/11/23)