jeudi 11 avril 2019

§ 20 et 21

Il s’est fait jouir plusieurs fois, à peine commence-t-il à s’en lasser. Il ne se savait pas si bon amant. Il avait un peu oublié à quel point il aimait le corps de Sylvelle. On pourrait croire que rien de mieux n’aurait pu arriver à leur couple ! Encore faudrait-il qu’elle y participe... Il est devenu leur couple à lui tout seul, comme le renversement radical d’un processus masturbatoire. Bien sûr il y manque quelque chose, s’il peut à présent disposer de Sylvelle à tout moment, lui-même est absent du tableau. Son propre corps, son propre sexe dont l’usage était un indubitable plaisir. Jumien aimerait pouvoir se pénétrer, sentir ce que cela fait d’être Sylvelle pénétrée par Jumien, oui mais comment faire ? Il faudrait que la vraie Sylvelle devienne Jumien.

Quant à se faire pénétrer par quelqu’un d’autre qu’elle, c’est hors de question. De ce côté-là, rien n’a changé. Mais peut-être est-il devenu lesbienne ? Peu importe, les catégories ont surtout pour fonction de se rassurer soi-même, telle n’est pas sa préoccupation principale à l’heure actuelle. Disons qu’il serait lesbienne et qu’il ferait une exception pour Jumien. L’occasion est tentante en revanche de faire la connaissance d’autres femmes que Sylvelle. Surtout si celle-ci persiste dans son hostilité ! Jusqu’alors il lui avait toujours été fidèle, mais leur couple battait de l’aile, non ? Jumien se sent en meilleure forme que depuis longtemps, il meurt de faim. Déjà midi, il a somnolé. Il faudrait aussi prévenir le lycée, mais avec sa voix c’est impossible.

mercredi 10 avril 2019

§ 19

Que fait-elle ? Où est-elle ? L’autre. Il paraît que les jumeaux ont un sixième sens qui leur fait ressentir ce que vit leur semblable, même à distance. Sylvelle ressent surtout de la peur. Cela s’accroît à mesure qu’elle se rapproche de la porte de leur appartement. Elle aurait pu tenter d’appeler Jumien sur son portable, peut-être aurait-il répondu ? Peut-être le vrai Jumien est-il quelque part où il ne peut pas communiquer, en manque de forfait, et il attendrait depuis minuit la veille qu’elle vienne à son aide ? Entre eux deux, il y avait bien quelque chose qui ressemblait à un sixième sens, du moins aux débuts de leur relation. Ils se devançaient souvent l’un l’autre, leurs pensées, leurs gestes, c’était merveille de se trouver. Là, rien de tel.

mardi 9 avril 2019

§ 18


Alors que la journée avance, il devient clair qu’elle aura besoin d’une journée supplémentaire. Qu’il ne suffira pas de rester tard au bureau pour éviter de retourner à la maison où l’attend Dieu sait quoi. Qu’en tout état de cause il lui faudra affronter cette chose qui lui arrive – elle hésite à penser que cela leur arrive, tant il est inconcevable que quelque chose arrive encore à celui qui était Jumien et qui a disparu au cours de la nuit. Devrait-elle se munir d’une arme, qui soit moins effrayante qu’un couteau et plus sérieuse qu’une poêle à frire ? Non, elle se connaît, et elle ne voudrait pas vraiment lui faire du mal. Faudrait-elle qu’elle prenne conseil auprès de quelqu’un ? Non, si même à Sophiraphe elle n’a pu se confier. Pourquoi l’autre n’a-t-elle pas téléphoné de tout ce temps ?

lundi 8 avril 2019

§ 15, 16 et 17

Sylvelle ne sait pas quoi raconter à Sopiraphe qui lui fait remarquer son air fatigué alors qu’elles font la queue au self. Dire qu’elle a passé une mauvaise nuit ne suffira pas. Et si elle ne dit rien à Sophiraphe, à qui pourra-t-elle se confier ? Je crois que je vais quitter Jumien, je ne le supporte plus. Encore, qu’est-ce qu’il a fait cette fois ? Il n’a rien fait, c’est juste sa façon d’être. Il t’a dit quelque chose ? Non, tu le connais, jamais un mot plus haut que l’autre. Oui mais il peut être maladroit parfois, je me souviens de la fois où il t’avait dit qu’il ne serait jamais tombé amoureux si tu avais eu des cheveux plus fins. Sylvelle rit malgré elle, c’est vrai que sa maladresse confinait à la goujaterie. Si seulement il n’y avait que cela.

Qu’allait-il se passer si elle le trouvait toujours chez eux quand elle rentrerait, ce soir ? Il n’avait pas pu aller travailler dans cet état, il ne pourrait aller nulle part sous son ancienne identité. Et en aucun cas se montrer en sa présence à elle. À moins de passer pour sa jumelle, tombée du ciel.  Elle ne voulait pas d’une jumelle, c’était déjà bien assez difficile d’être soi ! Tu trouves que j’ai changé ? demande-t-elle à Sophiraphe. Dans quel sens ? Physiquement. Non, tu as l’air fatigué mais à part ça tu es bien ma Sylvelle préférée. Aujourd’hui la blague est moins drôle, Sylvelle écrase sa portion de poisson pour en révéler des arêtes. J’ai failli le frapper ce matin, j’étais hors de moi. Je suis sûre que tu avais une bonne raison, allez, raconte.

Mais Sylvelle secoue la tête, Avec un peu de chance il partira de lui-même, de toute façon c’est comme s’il n’était déjà plus là, en un sens, je veux dire d’une certaine manière il est déjà parti, ce qui reste de lui ce n’est plus lui et je suis seule avec moi-même. Sophiraphe reste perplexe mais Sylvelle ne tient pas à s’expliquer davantage, elle est allée aussi loin qu’elle s’en sentait capable. La pomme et le yoghourt, elle les emporte pour plus tard. Il lui faut finir de rédiger la première mouture de la notice d’agrémentation que le laboratoire enverra aux autorités sanitaires, et rien n’est simple de ce côté-ci non plus. On lui a donné un rapport savamment confus qu’il lui faut décrypter correctement avant de le retraduire confusément, c’est son métier.

dimanche 7 avril 2019

§ 14


Allongé sur le dos, reprenant une respiration normale, il a envie d’appeler Sylvelle. Il faudrait qu’elle soit ici à ses côtés, elle lui manque. Jumien rit, c’était donc peut-être cela, l’amour : elle lui manque en état de parfaite satiété ? Mais Sylvelle est sans doute peu disposée à partager cet élan d’affection, elle est partie après l’avoir menacé avec la poêle, tout de même. Le mur en garde une trace. Du reste, si ce n’est pas son corps qui lui manque – puisque Jumien peut désormais en jouir à volonté – ce n’est pas non plus son mauvais caractère, sa colère ou ses reproches. Il faudra qu’elle se fasse à la nouvelle situation, comme il est en train de s’y faire lui-même. À moins qu’elle ne le quitte ? Et si pour elle, c’était surtout le corps de Jumien qui comptait ?

samedi 6 avril 2019

§ 12 et 13


Il marche un peu dans l’appartement, passe de pièce en pièce. Il se sent plus léger mais peu assuré sur ses jambes. Il s’assied sur une chaise, relève le bas de son pyjama, les mollets de Syllvelle sont fins contrairement aux siens. La peau est douce, récemment épilée. Non, il ne s’infligera pas cela ! Il se relève, reprend sa déambulation sans but, attentif à sa façon de marcher, comment ferait Sylvelle ? Il se cherche dans la grande glace du salon, la trouve, l’air égaré. Elle l’observe d’une façon telle qu’il a du mal à soutenir son regard, cela le terrifiait parfois, une réflexion insondable qu’il percevait telle une menace, la possibilité qu’elle lui annonce son départ : tout bien considéré elle avait compris, fait le tour, ne croyait plus en lui, le quittait.
 
Mais comment pourrait-elle le quitter à présent ? se dit Jumien en portant la main droite à son sein gauche sous le tissu, puis la gauche, les bras croisés. Ses tétons sont sensibles, Sylvelle parfois était saisie de grands frissons qui lui parcouraient tout le corps. De retour dans la chambre, Jumien se laisse tomber sur le lit, envahi de désir. Il se caresse les seins, le sexe à travers le pyjama, il se frotte contre la couette, se dévêt complètement, il gémit. Avec sa voix de Sylvelle, d’ordinaire il était plus discret. Les sensations sont incroyables même s’il a encore du mal à accepter ses doigts. Ce sera une question d’habitude, c’est comme si pour la première fois il se donnait du plaisir et en même temps qu’il connaissait parfaitement ce corps. Il jouit comme jamais.