lundi 8 avril 2019

§ 15, 16 et 17

Sylvelle ne sait pas quoi raconter à Sopiraphe qui lui fait remarquer son air fatigué alors qu’elles font la queue au self. Dire qu’elle a passé une mauvaise nuit ne suffira pas. Et si elle ne dit rien à Sophiraphe, à qui pourra-t-elle se confier ? Je crois que je vais quitter Jumien, je ne le supporte plus. Encore, qu’est-ce qu’il a fait cette fois ? Il n’a rien fait, c’est juste sa façon d’être. Il t’a dit quelque chose ? Non, tu le connais, jamais un mot plus haut que l’autre. Oui mais il peut être maladroit parfois, je me souviens de la fois où il t’avait dit qu’il ne serait jamais tombé amoureux si tu avais eu des cheveux plus fins. Sylvelle rit malgré elle, c’est vrai que sa maladresse confinait à la goujaterie. Si seulement il n’y avait que cela.

Qu’allait-il se passer si elle le trouvait toujours chez eux quand elle rentrerait, ce soir ? Il n’avait pas pu aller travailler dans cet état, il ne pourrait aller nulle part sous son ancienne identité. Et en aucun cas se montrer en sa présence à elle. À moins de passer pour sa jumelle, tombée du ciel.  Elle ne voulait pas d’une jumelle, c’était déjà bien assez difficile d’être soi ! Tu trouves que j’ai changé ? demande-t-elle à Sophiraphe. Dans quel sens ? Physiquement. Non, tu as l’air fatigué mais à part ça tu es bien ma Sylvelle préférée. Aujourd’hui la blague est moins drôle, Sylvelle écrase sa portion de poisson pour en révéler des arêtes. J’ai failli le frapper ce matin, j’étais hors de moi. Je suis sûre que tu avais une bonne raison, allez, raconte.

Mais Sylvelle secoue la tête, Avec un peu de chance il partira de lui-même, de toute façon c’est comme s’il n’était déjà plus là, en un sens, je veux dire d’une certaine manière il est déjà parti, ce qui reste de lui ce n’est plus lui et je suis seule avec moi-même. Sophiraphe reste perplexe mais Sylvelle ne tient pas à s’expliquer davantage, elle est allée aussi loin qu’elle s’en sentait capable. La pomme et le yoghourt, elle les emporte pour plus tard. Il lui faut finir de rédiger la première mouture de la notice d’agrémentation que le laboratoire enverra aux autorités sanitaires, et rien n’est simple de ce côté-ci non plus. On lui a donné un rapport savamment confus qu’il lui faut décrypter correctement avant de le retraduire confusément, c’est son métier.