Binh-Dû un jour ne sera même plus Binh-Dû. Il sera une essence
invisible et indicible. Non plus qu’il ne dira « je » on ne dira
« il ». Quelque chose, d’informel, regardera le ciel et du ciel
contemplera, en une union relâchée, exempte d’attentes et d’illusoires
temporalités – même si pour le plaisir des sens il y aura encore des jours et
des nuits, des aurores et des crépuscules. Le plaisir de qui, de quoi, les sens
de qui ? Le plaisir d’essence bien sûr, et ça rigolera dans les nuages.
Pour l’heure, il tape un message sur son téléphone. Toujours ébahi par
l’apparence d’intuition humaine contenue dans le cerveau minuscule de cet objet
qui, à une centaine d’années près, semblerait rien moins que magique. Binh-Dû
voudrait inscrire « le », mais ce qui lui est proposé d’office est
« je ». Il voudrait écrire « ne », et « me »
s’affiche. Est-ce l’ego qui s’accroche, insistant ? Est-ce
transsubstantiation si lorsqu’il tape « cidre » apparaît
« bière » ?
Binh-Dû aimerait qu’on lui témoigne un minimum de respect. Son voisin,
par exemple, en haussant le volume de sa chaîne, lui manque de respect. C’est
même du mépris, à ce niveau-là. Binh-Dû lui dirait, S’il y a une chose que je
n’admets pas, c’est le mépris. Et il ajouterait, D’ailleurs qu’est-ce que c’est
que ce bruit, sûrement pas de la musique, il faut être débile pour écouter ça,
tu as de la bouillie dans le crâne, tu es une merde, tu es irrécupérable.