En ce jour mémorable pour le président de la République, ce dernier
rencontre Binh-Dû. Mesure-t-il sa chance ? On dirait que non, il continue
d’agiter la main par la vitre de sa berline et de sourire avec ses dents,
coucou ! Son regard glisse sans s’arrêter.
Un garçonnet ne s’y trompe pas, qui ouvre grand les bras alors qu’il
sait à peine se tenir debout et interpelle Binh-Dû du nom si doux de
« Papa ». Un instant, l’influençable Binh-Dû est ébranlé par une
telle force de conviction, puis il repart.
Quel est ton fermier ? Binh-Dû se sent libre d’étirer ses bras en
arrière, d’amorcer un pas de danse, de prendre par la pelouse fleurie plutôt
que sous le couvert des arbres. Le président doit être sur la voie d’urgence,
cerné de gyrophares et de sirènes, coincé dans son costume, en route vers le
casernement que sa fonction lui assigne.
Le président est un saigneur mais il n’est pas le fermier de Binh-Dû,
ils n’ont pas non plus le même fermier. Ils sont tous deux des genres de poulets.
Ils sont des êtres humains dans une société. Apparemment Binh-Dû est moins bien
loti. Et pas si mal non plus, il a beau avoir été élevé en batterie, le but
n’est pas de lui trancher le cou puis de le désarticuler.
On produit les Binh-Dû – disons pour faire simple et rester humble les
êtres humains vivant dans la même société que Binh-Dû – non pas pour les
consommer mais pour qu’ils consomment. Ils sont rentables en tant que
consommateurs. Disons-le autrement encore, ce que produisent les êtres humains
élevés en batterie c’est de la consommation.
D'où il ressort que pour échapper à son fermier, Binh-Dû doit cesser de consommer. Finis les abonnements mensuels, reconductibles par accord tacite, les "sorties" moutonnières, les loisirs encadrés, les voyages sécurisés, la quête effrénée du pouvoir d'achat. Merde à tout ça, autant que possible. Le président ne peut en dire autant.