Binh-Dû pourrait raconter l’histoire d’un autre. Quelqu’un qui ne
porterait pas de casquette sur sa tête malgré le soleil qui tape, ou qui serait
surchargé de muscles, ou qui vivrait dans une grotte et répéterait aux
visiteurs un unique mot absurde, ou qui se désolerait d’avoir oublié une fois
encore d’aller se promener.
Non, il ne le pourrait pas. Il regarde rire une jeune femme en voiture,
assise à l’avant, qui se retourne à demi pour parler avec son frère, tandis que
le conducteur fixe la route devant lui – et il sait auquel des trois
s’identifier. Les passagers rient ensemble à présent, chacun de son côté, leur
plaisir est une indéniable manifestation physique.
Binh-Dû doit réfléchir à la question quand on lui demande s’il a froid,
et il n’est jamais sûr de donner une réponse honnête. Non qu’il veuille tromper
son monde. Ce serait plutôt le monde qui le met dans le doute, est-ce que j’ai
faim, est-ce que j’ai sommeil, est-ce que je m’ennuie ? Il préfère poser
que tout va bien, et en conséquence se détendre un peu.