dimanche 13 mai 2018

13 mai

Le temps passe, est-ce un motif d’angoisse ? Binh-Dû dans son lit se retourne, le temps ne passe pas mais dans le temps je passe, c’est terrible ! Le temps est la Terre plate au bout de laquelle on tombe dans le vide. Du bord il se rapproche, à ce qu’il paraît, comme tous ses contemporains, spécialement sa tranche d’âge, ils sont sur les assiettes à dessert et quelqu’un tire insensiblement la nappe. Plus il y pense, plus le temps passe et la nuit avance, sans sommeil, qu’il faudra rattraper. À ce rythme-là il sera bientôt dix ans plus loin, ah je meurs !
Ne s’endort-il pas. Il se souvient qu’il fut dix ans plus tôt et qu’à cette époque l’idée l’avait déjà terrifié. Il se souvient de lui à la moitié de son âge actuel, et déjà il se sentait vieux car il se souvenait très bien de lui à la moitié de son âge d’alors, un Binh-Dû pour qui vivre l’équivalent de toute sa vie déjà vécue paraissait excéder les capacités de perspective, et voilà, il l’avait fait. C’est donc qu’il pouvait le refaire, être deux fois plus vieux. Cela, ce serait être vraiment vieux, vivre l’équivalent de toute sa vie jusqu’alors, qui avait passé si vite.
             Et voilà, c’est fait. Au prochain doublement de sa vie jusqu’ici, Binh-Dû sera statistiquement mort. Dans son lit une fois de plus il se retourne. Lui vient à l’esprit un jeu de bouddhiste sadique, imagine qu’une journée de ta vie dure en réalité une heure. Facile, non, de concentrer la valeur d’une journée en une heure ? Eh bien voilà, tu as une espérance de vie de quatre ans. Imagine que c’est une semaine qui tient en une heure. Tu peux le faire ? Six mois ! Un mois ? Un mois ! Une année ? Trois jours ! Trois jours à vivre et une nuit d’insomnie...