Rester
altruiste ou engager à plein son désir. Tel est le dilemme qui attend Binh-Dû
de l’autre côté de la nuit. Avant cela, une nonagénaire en regain déclare son
amour à un eurasien qui pourrait être son petit-fils. Ou le frère de Binh-Dû,
est-ce sa faute si la vieillesse ne cesse de se rappeler à lui ces
jours-ci ? La vieille dame a de sévères pertes de mémoire, ses yeux
brillent comme à quinze ans et son sourire contient un peu de l’abandon
passionné auquel elle se livrait du temps où les hommes s’évertuaient à la
séduire. Le frère de Binh-Dû est troublé, il n’imaginait pas que son charme pût
être si puissant. Personne ne concevrait qu’il engage son désir, et pourtant il
y a sollicitation. Pourtant il prête déjà son bras, sa main, il laisse caresser
sa joue. Binh-Dû tire certainement avantage de son altruisme, ne serait-ce
qu’un allègement de responsabilité envers lui-même, qu’il noie dans l’attention
aux autres. Et le dispense de décider ce qu’il ressent, conséquences incluses. Il
ne cessera jamais d’éprouver les sentiments d’un enfant de quinze ans ou d’un
vieillard de quatre-vingt-quinze. Il cessera peut-être un jour d’être si
raisonnable, et on lui en saura gré. Ou il périclitera sans dommage apparent.
(merci à Valeria Bruni Tedeschi)