Mais tout de
même, jusqu’où vouloir l’autonomie ? se récrie Binh-Dû au milieu d’une
journée sans surprise. Il est en sécurité. Il se couche dans le même lit que
celui dans lequel il s’est couché la veille, et même durant la journée il s’y
installe pour travailler devant l’écran de son ordinateur portable. La moins
portable des choses présentes dans sa chambre semble parfois être Binh-Dû
lui-même, qui lorsqu’il n’a pas mal au pied a mal autre part. Et quand il
quitte sa chambre pour l’au-dehors, le contenu de sa tête lui paraît un million
de fois plus lourd qu’un ordinateur portable. L’autonomie c’est un niveau de
batterie, celle de Binh-Dû s’épuise, il y a fuite, déperdition de veille, cent jours c’est mille jours en perspective,
et la mort nous séparera vaincus. Dans la ville, les gens qui se côtoient parfois
de très près mâchent de la nourriture gâtée, sucent du sucre, s’accrochent à ce
qui insidieusement les excite et les meurtrit. Ou nous abrutit, c’est égal. Nous
allons d’une drogue à une autre et ce n’est même pas de la bonne came. Ceux
qu’on aime parce qu’ils éclaircissent notre atmosphère, a-t-on le droit de s’en
tenir éloignés ? Faut-il se priver d’eux afin de n’en pas dépendre ? Binh-Dû
range ses courses puis éparpille dans la casserole un faisceau de spaghettis.