mardi 5 juin 2018

5 juin

Il y a des lettres que Binh-Dû a raison de méditer longtemps pour en définitive ne pas les envoyer. Le problème est qu’il ne sait jamais lesquelles. C’est-à-dire qu’il s’en doute, sur le moment cela ressort de l’intuition. Mais même ce doute intuitif est sujet au doute, puisque le moment est composé de moments. Par exemple, le moment de l’écriture est exempt de repentir (par exemple et par définition tant ce présent-là est compact). En revanche le moment du remuement ensommeillé (la première nuit qui porte conseil) imagine déjà des alternatives à ce qui n’est pas encore un souvenir fiable – est-ce bien cela qu’il a écrit et qui ne convient pas, mais alors pas du tout ? Puis il y a le moment de la relecture qui est toujours une expérience d’étrangéité – quelqu’un a écrit ceci qui convient ou ne convient pas. S’initie alors le cycle des réécritures, une succession de moments cumulatifs, progressifs, parfois récessifs, tous similaires dans la forme et par le sentiment de relative absurdité qui les accompagne. Porté à l’extrême, Binh-Dû parvient, au terme d’une noria de rendez-vous avec lui-même, à un texte qui, s’il était envoyé à sa destinatrice, produirait dans le pire des cas un effet dramatique et piteux et dans le meilleur une faille d’entendement. (Ou bien non ? Ce serait l’amour reconnu, maintes fois esquivé ?) Le moment de l’envoi s’arrache par orgueil au conditionnel, Binh-Dû s’est par le passé donné des gifles. Reprenons, quelle était l’idée, à l’origine ? Il cherche, il doit fouir parmi ses phrases. Ça ne ressort pas, ça reste caché. Il gagnerait du temps à téléphoner.