samedi 28 juillet 2018

28 juillet


Voler à quelques centimètres au-dessus du sol est un gage de vulnérabilité, félicite-t-on Binh-Dû. point n'est besoin d'être un aigle surplombant les pics enneigés.
 
Les parfums restent cantonnés à l’extérieur des rêves, seul le sentiment s’en infléchit. Ne plus toucher terre est un cauchemar potentiel, un reproche, un vertige inquiétant.

Et si nous avions le choix, vanterions-nous toujours les vertus vulnérables ? Nous avons le choix et nous tuons des animaux. Nous avons le choix et nous dédaignons le flamboiement des nuages attestant du mouvement cosmique. 

Sur la langue persiste le goût des mûres, même après qu'ont été sucées jusqu'à l'endocarpe leurs drupéoles. L'ivresse du fruit tend à la course, bras déployés, en prise d'élan.

Les sangliers ont migré vers d’autres collines, au milieu des vignes le portable émet et reçoit des ondes inaudibles. Binh-Dû est incapable de voir ce qui se passe hors de son champ vibratoire.

vendredi 27 juillet 2018

27 juillet

Pour rencontrer une personne de connaissance il suffirait de s’en remettre au hasard, marcher dans les rues d’une ville théâtralisée l’été. Ou non. Déjà bien beau si l’on arrive à se repérer entre les siècles superposés sans avoir besoin de demander l'heure. Le pont écroulé au mitan du fleuve attire inexorablement les promeneurs.
Demi-tour obligatoire, les pas mènent ensuite à l’impasse du musée, au bout du parvis papal. Depuis les salles, par les fenêtres, on aperçoit encore le fleuve, une autre forteresse, sans doute des arbres surplombant un jardin où une chanteuse aux pieds nus inspecte ses plantations, accompagnée de ses enfants.
A l’intérieur, les gardiens sourient davantage que les vierges de miséricorde. Tant d’affliction sous les dorures. Le temps long commence à se hâter, car dans un café non loin s’attable auprès de sa grand-mère un jeune homme barbu, qui fut un enfant intimidé par son oncle avant d’être perdu de vue durant une quinzaine d’années.
Sa bonne amie est encore plus jeune et ses ongles sont rouges comme la douceur et la joie, s’il te plaît, ne me vouvoie pas ! supplie l’oncle. Ils sont beaux. Les croiser dans une autre ville, à des milliers de kilomètres d’ici, doit toujours être un heureux hasard. Ou un souvenir imprécis.
Car l’histoire initiée se perpétue, tel le don d’une bague ayant appartenu à l’arrière-arrière-grand-mère. Hors du café, la question revient de l’autosuffisance. Des cases ont été cochées, mourir maintenant serait moins désolant. Le manque a été élevé au rang de la joie. Mais qu’en est-il du désir démarqué du besoin ?

[merci toujours et encore à Camille]

jeudi 26 juillet 2018

26 juillet

Binh-Dû se dit parfois qu’il est maudit. Mais Binh-Dû sait qu’il est le protégé béni des dieux. Et il sait qu’il vaut mieux savoir que se dire. Plus précisément, que la connaissance prime le récit. L’amour entre deux êtres prime à peu près tout. (L’à peu près n’étant qu’une marge de manœuvre comme pencher le visage du côté droit plutôt que gauche, descendre un bras par ci, remonter l’autre par là ; ou plus conceptuellement une concession minime faite à la prudence, contre la flamboyante exaltation des sentiments.) Sous la voûte du pont, le chant de la flûte s’harmonise avec celui de la rivière. Et sur le plateau aride ouvert aux vents (n’étaient les rangées de châtaigniers), les abeilles affairées contournent les intrus de passage, tout est à sa place, transitoire, mémorable, immédiat. Même les adieux sourient à l’avenir autant qu’au passé, apportant au moment une densité confiante. La ville peut bien étaler sa laideur, les voitures s’agréger en une file inepte. La maison familiale peut bien offrir un havre joyeux de retrouvailles. Et les vignes familières redessiner leurs courbes. Binh-Dû se dit parfois qu’il est chanceux.

mercredi 25 juillet 2018

25 juillet

Oublie aussi l’énigme de la singulière complexité, n’oublie pas d’avancer. Binh-Dû gravit à rebours le sentier qui le mène aux randonneuses, la blonde et la brune, dont l’une a assuré la veille : « On est heureuse que tu viennes ». Ils se retrouvent idéalement, au point culminant. Ensemble ils descendent la montagne, froissant une feuille rêche entre deux doigts sans parvenir à déterminer le nom de l’arbre. À l’abord du village minéral, le parfum des patates sautées ne laisse aucun doute. Dans le chœur de la chapelle aux motifs de grès rouge le son de la flûte peul s’élève. De même un cri à l’instant de plonger dans la marmite du diable. De même les gouttes d’eau perlant sur la peau, absorbées par le dernier rayon de soleil, happé sur la pointe des pieds. Oui, c’est ici le paradis. Les étoiles clignotent au milieu d’écharpes nuageuses fines comme la voie lactée. Certaines filent un état amoureux : « Mes doigts te voient – C’est toi qui est là – Aime-toi ». Le malheur n’a pas droit de cité, tout juste le fond de l’air fraîchit. « C’est notre histoire, ainsi », approuvent au loin des animaux sauvages.

mardi 24 juillet 2018

24 juillet

Vers les montagnes, Binh-Dû s’égare. Il s’agit bien de lui, mais se trouve-t-il toujours à l’ouest du chancre urbain, et ce soleil de midi indique-t-il de façon fiable la direction du sud ? La sinuosité des routes se joue de sa prétention aux détours.
Il espère diminuer à chaque tour de roue la distance qui le sépare des randonneuses parties bien avant lui. Le lendemain, l’excédent de kilomètres se résorbera à pieds et à contresens. « Suis-je sur le bon chemin » ? demande-t-il dans l’épicerie-bar.
L’adolescente monte dans sa chambre vérifier sur l’ordinateur, tandis que le grand frère reste relié à sa fiancée par les écouteurs de leur iPad. Le père rentre de sa promenade un peu essoufflé, il allègue de son âge en parade aux moqueries.
Binh-Dû ne peut que compatir, comparant à son propre avantage les corps entamés : leurs peaux sont de même ascendance, très orientale, l’adolescente redescendue pourrait être sa fille, qui lui indique par où partir. Tous les sourires s’apparentent.
Bien qu’à l’âge du fils, Binh-Dû n’ait pas connu la présence à son côté d’une fiancée si jolie. Il eût été plus empressé. On a les échecs et les réussites de ses ambitions, celles de Binh-Dû consistaient à ne pas se faire entendre.
Être, agir, recevoir, ressentir, et se garder de trop comprendre. Dans la vallée, les gens se préservent d’une décompensation en perpétuant leurs illusions, la différence est dans le degré de conscience vis-à-vis du régime infligé.
L’artifice du réel se dissémine en mille exemples d’usurpation de l’espace commun. Soit tu te soumets à la loi du péage, soit tu raques en ZAC tentaculaires, en ronds-points et en panneaux publicitaires. Quel consensus en a décidé ainsi ?
À qui profite le crime ? Jusqu'où continuera-t-on à instaurer la peur pour légitimer l'autoritarisme ? Sur ces questions la compréhension est disponible. Mais « Pourquoi suis-je moi et pourquoi pas toi ? / Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas là ? » : oublie.

lundi 23 juillet 2018

23 juillet

Reprise du ballet des histoires au quatrième jour du festival : une vieille femme pourrait éviter d'ouvrir sa porte aux catastrophes, la fille du boucher rend son tablier, le chevalier à la triste figure connaît des sursauts de jeunesse. Sous les premières branches maîtresses de l'arbre on mange un taboulé.

Survient une cycliste, pile au bon moment, porteuse de bonnes nouvelles et d'idées joyeuses. Cette amie-là invoque l'eau du ciel, lequel, intimidé, se contente de rouler des nuages apocalyptiques. Un spectacle à contempler les yeux en l'ait tandis qu'une guitare furieuse prédit un avenir post-électrique.

Triste vigile figé au ras du présent tu ne comprends rien à ce qui se vit, tes lunettes noires ne t'y aident pas, non plus la pesanteur infligée à ta moue. Tu t'imagines qu'un sac vide est une menace et que son propriétaire est un terroriste nécessitant que soient mobilisées deux voitures remplies de policiers.

Pour combien d'heures de garde-à-vue, quelle quantité de bêtise plus ou moins brutale, quelle urgence fantasmée, quel esprit insensé d'obéissance ? Face à la suspicion totalitaire, prendre la poudre d'escampette est une solution raisonnable, la sortie des artistes permet de ne pas manquer la dernière fête.

dimanche 22 juillet 2018

22 juillet

Une tente se démonte mieux avant le petit-déjeuner, surtout si celui-ci est un brunch. Un thé se boit chaud, surtout si c’est une tisane. Un homme bavard s’écoute plus distraitement le matin, surtout s’il parle à quelqu’un d’autre. Une femme aimée est toujours aussi jolie de profil. Un square est un square, quelque soit l’heure, d’autant lorsqu’on n’est pas en retard. Le même arbre nous y retient.
Une voiture blanche attend au pied de la statue républicaine. « Au revoir, à très bientôt », dit-il. Et la pluie reste avec lui une bonne partie de l’après-midi. Ce n’est pas aussi triste qu’il l’avait anticipé, « Nous avons fait du chemin », remarquait-elle. Quand la pluie cesse, le corps est hissé hors de l’humus, deux acrobates en bottes narguent un squelette doré dans son fauteuil, on plante des fleurs.
Les femmes bavardes courent les rues comme tout le monde, s'arrêtent aux bons endroits pour boire un verre, usent généreusement de leurs passe-droits, demandent des nouvelles depuis tout ce temps - puisqu'on a failli se heurter par hasard -, ne sont pas tant bavardes que désireuses de partager un peu de passé. Mais du côté chagrin de sa propre loyauté, mieux vaut aller se coucher.