Elle cueille des plantes sur le talus, quelques fleurs aussi
qui sont des plantes comme les autres. Elle-même dodeline au bout de sa tige,
une tête blanchie qui de loin semble soumise aux impulsions du vent. Mais le
silence prédomine, un silence bruissant et odorant, assis en arrière de la
femme un chien prend patience, tout juste remue les oreilles. Il s’abstient de
donner l’alarme quand Binh-Dû arrive à leur hauteur, Vous m’avez fait
peur ! sursaute la femme avant que ce dernier s’en excuse. Elle
l’inviterait bien à boire une tisane mais il a trop hâte de plonger dans
l’ivresse des fleurs encore sur pied. Tel un jeune chien. Ou un sanglier qui
grogne à son approche et repart se cacher dans le sous-bois, celui-ci préfère
les tubercules. Binh-Dû formule en secret des vœux pour qu’il survive à cette
journée, tandis que lui-même sinue parmi les chasseurs en jaquette orange. On
dirait des champignons vénéneux éclos du matin, autant de repères disposés en
rayon autour d’un amas de véhicules tout-terrain. Collier au cou de la
montagne, aspirant le sang en lisière de la peau. Au retour ils auront disparu
et la montagne sera méconnaissable, privée de ses repères parasitaires.
Qu’importe, ce corps fonctionne merveilleusement. Tandis que la nuit tombe, les
chevaux deviennent des ombres placides et réfractaires, la nuit ne leur inspire
nulle inquiétude. Binh-Dû allume ses feux de croisement, le prochain village
apparaîtra après que le compteur aura indiqué un nombre potentiellement
magique, on y est presque, encore cent mètres, ça y est : 57575,7. Une
biche soudaine franchit la route.
dimanche 1 septembre 2019
samedi 31 août 2019
31 août
Au
moment des adieux, alors que tout pourrait devenir différent pour les temps à
venir, alors que si rien ne se passe rien de neuf n’en pourrait advenir, alors
que déjà l’enchaînement des regrets se resserre – pourquoi se tient-elle à
distance, accaparée par quelqu’un d’autre, pourquoi n’y a-t-il pas évidence,
heureuse conjonction des déplacements dans l’espace-temps, pourquoi faut-il que
s’approche cette autre personne accaparante et nullement désirée –, une aide
innocente vient rétablir la justice et l’équilibre : les voici face à
face, ils ne veulent plus se quitter, et ne pas vouloir pourra désormais
prendre le sens de décisions futures, de prochaines retrouvailles.
Binh-Dû
s’étonne d’être si instantanément différent de celui qu’il croyait être,
c’était donc possible ? Comme de se découvrir des canines rétractables.
Dès lors, pourquoi ne choisirait-il pas délibérément, selon l’humeur et les
circonstances, d’être distinct de lui-même (ou bien au contraire, c’est un
point de vue, de revenir à la souche de ses cellules, disponible, en amont de
toute psychologie, pour une indifférence joyeuse) ? Le chemin s’ouvre sur
de grandes plaines vallonnées où marchèrent des croyants vers leur massacre, il
n’en reste trace, les vaches surprises font sonner leurs cloches. Les chardons
repoussés ont atteint la taille d’hommes qu’on qualifierait de géants.
lundi 19 août 2019
mardi 6 août 2019
jeudi 1 août 2019
Hybrides #13
J'écris sur le réel. Comme disait Lacan : "Le réel, c'est ce qui ne va pas". Et ce qui ne va pas est complexe.
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Depuis
deux mois, sa conscience ne tolère plus aucune faille, ne sait plus où se
mettre, ni dans quelle position, aussi mal à l’aise qu’un corps qui cherche le
sommeil sur des pavés. Janice se sent obscène quand elle se réveille dans son
lit confortable et chaud. Obscène quand elle dessine. Quand elle ne dessine
pas. Quand elle mange. Quand elle se lave. Quand elle s’habille. Quand elle
monte sur son vélo et qu’il l’emmène ailleurs. (…) Quand elle dépense de l’argent
pour son bien-être. Quand elle n’a qu’à ouvrir un placard pour y trouver ce qu’il
lui faut.
Janice
considère avoir en commun avec Rita de ne pas entrer dans la case cubique qui
lui est réservée. Certes Rita rêve d’en avoir une où se ranger à l’abri du
vent, des abrutis de tarés de malades mentaux, de la gale et des araignées,
tandis que Janice rêve de dynamiter celle qui lui a été attribuée, certes Rita
aspire à ce que Janice abhorre, mais de fait elles sont toutes deux des
fantômes dans la ville, immobiles au coin des rues, le regard fixe et une
révélation au bord de la conscience. Les vrais adultes ne vivent pas cela, les
citoyens équilibrés, bien intégrés, n’ont pas ces occupations. Les citoyens
ordinaires ne se rendent pas malades à l’idée que d’autres êtres humains
doivent subir la pluie, les citoyens ordinaires ne pleurent pas en mettant le
chauffage.
Plus
aucun de ses comportements n’est intelligible à ceux qui l’entourent. (…) La
semaine dernière, au cours d’une fête, elle s’est illustrée par son taux record
d’alcoolémie et la virulence de ses propos, invectivant des hôtes généreux, qui
avaient ouvert quelques-unes de leurs meilleures bouteilles pour lui faire
plaisir, comme s’ils avaient inventé le système qui broie les faibles – et comme
si elle-même se tenait à l’écart de ce système. Sa bouche était pleine des
aberrations qu’elle observe sans parvenir à leur trouver une formulation assez
percutante ; son impuissance à dénoncer la vérité en termes sans appel la
rendait outrancière. Elle vociféra in fine que la propriété privée était une obscénité,
feignant d’oublier le prêt de vingt-cinq ans qu’elle honore pour occuper une
maisonnette à quelques mètres d’un grand ensemble au dernier stade du
délabrement et que, ce faisant, elle participe à la gentrification du quartier
populaire où elle a élu domicile, à un processus qui ne cesse de pousser les
pauvres un peu plus à la périphérie, dans des logements insalubres où ils n’ont
plus qu’à croupir sans recours.
Gérard Mordillat
& Fanny Chiarello (La
vie effaçant toutes choses)
vendredi 26 juillet 2019
Attentives #4
La
perspective du Soleil du Grand Est repose sur l’appréciation de nous-mêmes et
de notre monde. (…) Nous prenons soin de notre corps, nous prenons soin de
notre esprit et nous prenons soin de notre monde. Dans la mesure où nous
percevons la sacralité du monde, nous devons constamment être à son service et
le nettoyer. Dans l’optique du Soleil Couchant, au contraire, le lavage et le
nettoyage devraient être du ressort des domestiques ; celui qui n’a pas
les moyens d’embaucher quelqu’un pour le faire s’occupe du nettoyage lui-même,
mais le considère comme une sale besogne. (…)
Dans
la perspective du Soleil Couchant, il faut se détourner autant que possible des
ordures, au point de n’avoir pas même à les regarder ; on se débarrasse
tout simplement des choses désagréables. (…) S’ensuit une hiérarchie sociale fondée
sur l’oppression : il y a ceux qui font disparaître les ordures et ceux
qui prennent plaisir à en produire. Les gens qui en ont les moyens peuvent continuer
à se repaître sans faire cas des restes. Ils peuvent se payer du luxe et se
désintéresser de la réalité. Ainsi, on ne voit jamais les ordures comme il
faudrait, et il est probable qu’on ne voit pas non plus la nourriture comme il
faudrait. Tout est compartimenté, de sorte qu’on ne peut jamais vraiment faire
l’expérience complète des choses. (Il ne s’agit pas seulement de nourriture,
mais de tout ce qui se passe dans le monde du Soleil Couchant.) (…)
Par
contre, la perspective du Soleil du Grand Est amène une approche très
écologique, une démarche qui provient d’une double prise de conscience :
en même temps que l’on découvre ce qu’il convient de faire dans une situation
précise, on voit l’enchaînement organique des situations. (…) Dans le monde du
Soleil du Grand Est, la hiérarchie est comme une plante fleurie qui pousse vers
le haut, alors que pour le Soleil Couchant, la hiérarchie est comme un
couvercle qui écrase les gens et les maintient à leur place. Dans l’optique du
Soleil du Grand Est, il est possible de cultiver même les criminels, de les
encourager à manifester une plus grande maturité ; par contre, dans l’optique du
Soleil Couchant ils sont irrécupérables et on les exclut, ils n’ont
pas l’ombre d’une chance. Ils font partie des ordures que nous préférons ne pas
voir.
(Chögyam
Trungpa, in "Shambhala – La voie sacrée du guerrier" (1984))
lundi 22 juillet 2019
vacance
Il paraît que nous sommes en juillet, ensuite de quoi ce sera août.
Il fait chaud aussi.
Binh-Dû reviendra quand le temps s'y prêtera mieux,
peut-être entre deux canicules ?
peut-être entre deux canicules ?
Au plus tard dans pas si longtemps.
(Voir ci-contre.)
Et l'on verra bien quel jour de quel mois nous serons.
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