Elle cueille des plantes sur le talus, quelques fleurs aussi
qui sont des plantes comme les autres. Elle-même dodeline au bout de sa tige,
une tête blanchie qui de loin semble soumise aux impulsions du vent. Mais le
silence prédomine, un silence bruissant et odorant, assis en arrière de la
femme un chien prend patience, tout juste remue les oreilles. Il s’abstient de
donner l’alarme quand Binh-Dû arrive à leur hauteur, Vous m’avez fait
peur ! sursaute la femme avant que ce dernier s’en excuse. Elle
l’inviterait bien à boire une tisane mais il a trop hâte de plonger dans
l’ivresse des fleurs encore sur pied. Tel un jeune chien. Ou un sanglier qui
grogne à son approche et repart se cacher dans le sous-bois, celui-ci préfère
les tubercules. Binh-Dû formule en secret des vœux pour qu’il survive à cette
journée, tandis que lui-même sinue parmi les chasseurs en jaquette orange. On
dirait des champignons vénéneux éclos du matin, autant de repères disposés en
rayon autour d’un amas de véhicules tout-terrain. Collier au cou de la
montagne, aspirant le sang en lisière de la peau. Au retour ils auront disparu
et la montagne sera méconnaissable, privée de ses repères parasitaires.
Qu’importe, ce corps fonctionne merveilleusement. Tandis que la nuit tombe, les
chevaux deviennent des ombres placides et réfractaires, la nuit ne leur inspire
nulle inquiétude. Binh-Dû allume ses feux de croisement, le prochain village
apparaîtra après que le compteur aura indiqué un nombre potentiellement
magique, on y est presque, encore cent mètres, ça y est : 57575,7. Une
biche soudaine franchit la route.