vendredi 26 juillet 2019

Attentives #4

La perspective du Soleil du Grand Est repose sur l’appréciation de nous-mêmes et de notre monde. (…) Nous prenons soin de notre corps, nous prenons soin de notre esprit et nous prenons soin de notre monde. Dans la mesure où nous percevons la sacralité du monde, nous devons constamment être à son service et le nettoyer. Dans l’optique du Soleil Couchant, au contraire, le lavage et le nettoyage devraient être du ressort des domestiques ; celui qui n’a pas les moyens d’embaucher quelqu’un pour le faire s’occupe du nettoyage lui-même, mais le considère comme une sale besogne. (…)

Dans la perspective du Soleil Couchant, il faut se détourner autant que possible des ordures, au point de n’avoir pas même à les regarder ; on se débarrasse tout simplement des choses désagréables. (…) S’ensuit une hiérarchie sociale fondée sur l’oppression : il y a ceux qui font disparaître les ordures et ceux qui prennent plaisir à en produire. Les gens qui en ont les moyens peuvent continuer à se repaître sans faire cas des restes. Ils peuvent se payer du luxe et se désintéresser de la réalité. Ainsi, on ne voit jamais les ordures comme il faudrait, et il est probable qu’on ne voit pas non plus la nourriture comme il faudrait. Tout est compartimenté, de sorte qu’on ne peut jamais vraiment faire l’expérience complète des choses. (Il ne s’agit pas seulement de nourriture, mais de tout ce qui se passe dans le monde du Soleil Couchant.) (…)

Par contre, la perspective du Soleil du Grand Est amène une approche très écologique, une démarche qui provient d’une double prise de conscience : en même temps que l’on découvre ce qu’il convient de faire dans une situation précise, on voit l’enchaînement organique des situations. (…) Dans le monde du Soleil du Grand Est, la hiérarchie est comme une plante fleurie qui pousse vers le haut, alors que pour le Soleil Couchant, la hiérarchie est comme un couvercle qui écrase les gens et les maintient à leur place. Dans l’optique du Soleil du Grand Est, il est possible de cultiver même les criminels, de les encourager à manifester une plus grande maturité ; par contre, dans l’optique du Soleil Couchant ils sont irrécupérables et on les exclut, ils n’ont pas l’ombre d’une chance. Ils font partie des ordures que nous préférons ne pas voir.

(Chögyam Trungpa, in "Shambhala – La voie sacrée du guerrier" (1984))