Les
hirondelles tournoient autour du clocher de l’église – qu’avons-nous besoin de
cloches ? Les papillons se posent sans bruit, le dessin des ailes de l’un
évoque un léopard dont le pelage assourdirait l’affût, celui de l’autre est une
montagne en négatif dont seule la cime ne porte pas de neige. Dans les deux cas
la discrétion s’impose. Sous la chaleur du soleil, les genêts craquent leurs
cosses dans des claquements secs comme des coups de fusil. Une abeille cherche
le sucre sur une broderie de fleur. Les réflecteurs blancs et rouges
ressemblent à s’y méprendre à un balisage de sentier. Vous franchissez la clôture de silence, prévient un écriteau aux
abords du monastère.
« Mes
chers frères. Cet après-midi entre none et vêpres, j’ai rencontré un homme,
vous l’avez peut-être aperçu vous-mêmes, qui marchait sur les sentiers de notre
prieuré. Il prenait à droite, à gauche, revenait sur ses pas, d’une allure
égale non exempte toutefois de fatigue. Quand pour la troisième fois il est
passé devant la fenêtre de ma cellule je suis sorti lui parler. Il m’a dit
qu’il cherchait son chemin. Je lui ai demandé s’il avait une carte ; il
n’en avait pas. Où souhaitait-il se rendre ? Il a désigné d’un geste vague
les montagnes et dit Là-bas, ajoutant Je me suis un peu perdu. Eh bien
voyez-vous, mes chers frères, cet homme perdu, aux intentions imprécises, dans
l’errance, harassé, c’est l’homme qui ne sait pas trouver Dieu. Ce serait
n’importe lequel d’entre nous si nous n’avions pas prononcé nos vœux en le
Seigneur et la Voie monastique. Alléluia, nous ne sommes plus perdus. La
lumière de Dieu nous guide dans les montagnes. Il nous a donné Sa carte et une
boussole. Il nous a donné des prières et des intentions claires. Et nous ne
sommes pas partis à sa recherche en fin de journée, quand il aurait été déraisonnable d’espérer atteindre le sommet de la montagne avant la nuit, non,
nous sommes en chemin depuis l’aube, nous avons choisi de consacrer toute notre
existence à ce cheminement, toute notre vie mature et il n’en faut pas moins.
Nous avons Sa boussole et nous avons le courage et la détermination de la foi.
Mes chers frères, remercions le Seigneur de nous avoir appelés, et prions pour
cet homme et pour toutes les âmes errantes du monde séculier. Amen. »
Oh,
l’abbé, ton monastère sentait la mort. Un moine dépressif se ratatine face à la
vallée ouverte devant lui, assis la tête entre les mains. Vienne
un Jésus dans le contre-jour, identifiable à sa barbe de dix jours, les hardes
décolorées par le soleil, qui à l’oreille lui murmurerait
« La joie » tout en esquissant de deux doigts une bénédiction, il se
prosternerait, soudain illuminé. Et ne le verrait pas disparaître comme il est
apparu. Se perdre est aussi une bénédiction, tandis que les cartes tracent les
contours d’une irrémédiable résignation et d'un désenchantement. L'homme de passage n'aurait vu ni cet arbre ni cet écureuil grimpant en colimaçon dans le feuillage.