L’été dernier on prenait le vélo pour aller à la plage. Le
mec me dit « Je comprends, moi aussi j’ai travaillé dans la
restauration ». En ce moment je dors comme c’est pas permis. Ça paraît
loin mais en réalité c’est tout à fait faisable. Comme si ça lui donnait le
droit de me draguer, non mais tu imagines ? C’est genre neuf, dix heures
toutes les nuits. Oui mais tout de même vous en aviez pour combien de
temps ? Ils se croient tout permis les bâtards. Une nuit de neuf heures je
ne sais pas depuis quand cela ne m’est plus arrivé. Ça dépendait, parfois on
s’arrêtait en chemin. Donc le mec continue, il me dit « Et ça vous arrive
d’être payée en heures sup’ ? » Oui mais tu vois, là je sens que mon
corps en a besoin. Deux heures et demie à peu près. Mais est-ce que je lui
demande s’il lèche le cul de sa chienne ? Mon corps aussi, il en aurait
bien besoin, c’est juste que je ne peux pas avec tout ce que j’ai à faire
dans une journée ! Je crois que je n’aurais pas eu le courage. Tu aurais
dû ! Bien sûr, et comment ça se passe avec Lucas ? En même temps, la
piscine ça craint, surtout pendant les vacances. Bref, je le calcule plus, je
continue mon taf, à un moment je le vois qui se barre avec ses potes et il me
fait un clin d’œil. Toujours pareil, ce qui n’arrange rien. Tu devrais venir
nous voir. Je vais débarrasser sa table, et devine combien je trouve en
pourboire ? Ce n’est pas ton anniversaire, bientôt ? Je crois que je
vais rester ici. Quatre-vingt-cinq centimes d’euros. Ça tombe un lundi.
vendredi 8 novembre 2019
jeudi 7 novembre 2019
7 février
Un jour
tu seras tout entier dans tes yeux. Mieux, tu seras un regard. Tu seras ce vers
quoi ton regard te porte. Tu reviendras à tes yeux pour être l’espace entre ce
que tu regardes et toi. Ce jour-là, ce que tu regarderas sera le ciel. Mieux,
ce seront les nuages traversant le ciel. Ce sera ta vision du ciel traversé de
nuages et ce sera la traversée du ciel par les nuages. Tu ne penseras rien. Tu
attendras sans attendre le moment de passer à autre chose, tel un animal. Tu
seras émerveillé tel un homme. Tu pourras fermer les yeux et devenir tout
entier au-delà de toi-même.
Nul
besoin d’inscrire ton nom sur du ciment, du bois, une peau. Ou le nom de
quiconque. Tu ne guetteras pas le moindre signe d’approbation – qui pour un
animal équivaudrait à une menace. Tu ne chercheras pas consolation pour tes
blessures, tel un homme aux pieds tuméfiés par l’éteule. Tu ne traîneras plus ton corps lourd à la
poursuite de mots perdus, jadis reportés en caractères minuscules dans un carnet.
Tu seras à nouveau innommé. Et partant, depuis la confusion infinie du
mycorhize jusqu’aux élancements les plus avides, tu vivras l’étreinte du monde.
mercredi 6 novembre 2019
6 février
Et sur
le ciment frais d’un muret tassé de canicule s’inscrit à la pointe de l’index
un prénom familier. Pour qui ? Dans quelle intention ? Propice à
quelle interprétation ? L’index interpelé gratte un crâne perplexe à 16486
kilomètres de là.
Une
femme s’assied sans déranger d’aucune manière son voisin si ce n’est qu’elle le
remercie. Elle consulte son smartphone, soudain contrariée se relève, hésite, cherche
une autre place, inspecte le vague à son âme.
Que
vaudrait-il mieux crier à la face du monde, « Je t’aime ! » ou
« Tu m’aimes ! » Lequel des deux étonnements est-il de meilleur
augure ? Le chien trouve toujours quelques brins d’herbes folles à sucer.
Le piano ne sonnera qu’à la nuit tombée.
Toujours
une histoire d’arrêts et de déplacements. Toute destination est une affaire
privée, le plus souvent même un prétexte pour ne pas s’orienter aux étoiles,
aux ombres et aux parfums. Et coulissent les portes coulissantes.
mardi 5 novembre 2019
5 février
On
l’emmène voir des arbres. Il y en a beaucoup, pour qui n’a pas idée de ce que
peut être une forêt. Ce ne sont que des arbustes mais lui-même n’est encore
qu’un enfant. Il s’émerveille de peu (ou il sait voir grand dans le peu). Il y
a des odeurs d’humus qui flottent dans l’air. Ses bottes dérapent dans la boue,
une fille crie dans ses oreilles, un garçon lui donne un coup de poing dans le
bras. Les adultes crient aussi, pour qu’ils avancent calmement vers les ruches
et le monsieur en combinaison blanche qui les enfume. Derrière leur groupe, il
y a un autre groupe qui attend.
C’est
l’instruction en troupeau. Quand as-tu pris conscience que tu faisais partie
d’une génération que les générations précédentes veillaient à contrôler ?
Quand as-tu su qu’il n’y avait rien de bon à attendre d’une obéissance irréfléchie ?
Tout va mal, te plaindras-tu alors que la mer remonte lentement et que le
soleil descend, alors que rien ne t’oblige à demeurer sur place dans la douleur
d’anciens atermoiements. Tout va bien, prétendras-tu à voix chuchotée dans la
bibliothèque, alors même que tu retiendras une sourde colère. Derrière toi, ton
jumeau halogéné s’impatiente.
lundi 4 novembre 2019
4 février
Il
n’était pas censé célébrer l’abjection. Ce n’était pas le pacte. Il n’était pas
désireux d’échafauder de bancales théories selon lesquelles l’abandon de tout
espoir serait l’unique issue face à l’aporie. Il voulait observer le monde et
le trouver beau. Ou amusant, par défaut ou en complément.
Cela
fait longtemps qu’il ne s’est pas promené, le nez au vent. Oh mais c’est qu’il
n’est plus drôle du tout ! Et c’est de sa faute : il n’a plus envie
de rire. Dans le reflet des vitres du métro il n’a plus besoin de se forcer
pour tirer une sale gueule. Il ressemble à un type accroché à la même barre en
inox – où ça ?
Il n’y a
qu’une main accrochée à la barre, un corps balloté par les cahots de la rame.
Quelqu’un tousse et forme de la buée. Quelqu’une découvre le mot « canopée »
sur une appli de mémorisation rapide. Quelqu’un enfonce plus profond ses
écouteurs dans le cérumen. Il voulait cesser de réprouver.
dimanche 3 novembre 2019
3 février
Pourtant,
à tout prendre (peur, du recul, de la hauteur) on y gagne au change. Car sinon la pente
glisse vers l’horreur. Jusqu’à ce que tu n’aies pour seule espérance que de
pacifier ta propre abjection en la dupliquant autour de toi, voulant convertir
tes semblables afin que semblables ils demeurent, et ainsi te justifier, et in fine sceller à double tour ton
irréparabilité.
Oh non,
reste doux ! Reste désolé, incompris, que ton espérance soit celle du
désespoir – mais attentionné. Sois gentil, ennuyeux, et triste surtout, ne
renonce pas à ta tristesse ! Continue à être maltraité, moqué, plaint,
continue à sourire tel un panda en voie de disparition. Tout plutôt que de
faire, de la cruauté qui démange à l’intérieur, ton nouveau principe moteur.
Le zèle
de la souffrance est ce qui subsiste de créativité chez ceux qui n’envisagent
plus de retour au terme de leur dérive. Ils sont perdus au point de désirer que
le monde s’anéantisse après eux. Ils rient beaucoup, trop fort. Ils ont de
l’esprit, du moins ce qui en tient lieu, ils sont drôles. Ou pas. Ils sont
positifs. Ou cyniques. Ils t’en diraient de belles – ne les écoute pas !
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